À l’origine en droit romain la jurisprudence désignait la science du droit. Cette science était élaborée par les jurisconsultes (personne qui donne des avis sur une question de droit, des consultations juridiques). Aujourd’hui, cette notion s’apparente à l’ensemble des décisions de justice rendue par les tribunaux, c’est donc l’oeuvre d’interprétation des juges.
En France, la place de la jurisprudence comme source de droit divise les théoriciens. Pour comprendre cette opposition, et son mode d’élaboration, il est important d’analyser le contexte historique de l’émergence du principe de séparation des pouvoirs pour comprendre comment définir la jurisprudence.
Le contexte historique de l’émergence de la jurisprudence
La séparation des pouvoirs
Face à une conjonction de plusieurs facteurs d’ordre social, économique et politique, l’année 1789 est ébranlée par la Révolution française. C’est dans ce contexte que le Roi va accueillir les États Généraux déterminés à changer la nation. De la sorte, ils vont oeuvrer à l’élaboration du principe de séparation des pouvoirs afin d’interdir au pouvoir judiciaire d’empiéter sur le domaine du pouvoir législatif. Ainsi, le 26 août 1789, l’assemblée constituante adopte la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui définit ce principe, et met en place la balance des pouvoirs. Ce principe va être rappelé dans la Constitution du 3 septembre 1791.
Dès lors, il apparaît clairement avec cette Constitution, que les révolutionnaires se méfient des tribunaux et des dérives passées. En effet, avant la révolution française, les parlementaires rendaient des décisions de portées générales et abstraites s’imposant aux juridictions inférieures (les arrêts de règlement). Les effets de ces arrêts étaient similaires à la loi, c’est-à-dire qu’ils valaient pour l’avenir et à l’égard de tous. De la sorte, en prônant le principe de séparation des pouvoirs, l’assemblée constituante veut mettre fin à cette pratique.
La prohibition des arrêts de règlements
De plus, afin de renforcer le principe de séparation des pouvoirs et de parfaire l’interdiction faite au pouvoir judiciaire d’outrepasser son domaine de compétence, les rédacteurs du code civil, ont prohibé les arrêts de règlements au sein de l’article 5 qui dispose « qu’il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».
La prohibition des arrêts de règlement peut être rapprochée à la relativité de la chose jugée, qui interdit aussi à la jurisprudence de créer du droit. Le code civil pose comme principe en son article 1355 que « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. ». En d’autres termes, les jugements n’ont qu’une autorité relative, limitée à l’affaire sur laquelle le juge statue. La solution dégagée par le juge ne vaudra que pour l’espèce.
Par ces règles dégagées par le législateur, l’interdiction de la création du droit par le juge est renforcée. C’est au législateur de créer la règle de droit, le juge doit quant à lui appliquer cette règle de droit au cas d’espèce qui lui est présenté. Néanmoins, il arrive que le juge crée indirectement du droit par l’intermédiaire de sa jurisprudence.
Les étapes de formation de la jurisprudence
La formation de la jurisprudence va passer par plusieurs étapes obligatoires. À l’origine, la mission du juge consiste à assurer le passage de la règle abstraite au cas de l’espèce, il apporte une solution à un litige en appliquant la règle de droit adéquat. En réalité, le juge a l’obligation de trancher le litige qui lui est soumis, comme le dispose l’article 4 du code civil « le juge qui refusera de juger sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi pourra être poursuivi, être coupable de déni de justice ».
De la sorte, lorsque la règle de droit existe et qu’elle est claire et précise, le juge doit simplement l’appliquer. Or, l’essence d’une règle de droit est d’être générale, elle ne peut donc pas envisager toutes les situations pouvant poser un litige. C’est pourquoi, en plus de sa mission d’appliquer fidèlement la règle de droit au cas d’espèce, le juge endosse un rôle d’interprète et de suppléant. Qui plus est, le principe énoncé par le juge ne doit pas être abstrait ou général (revoir le principe d’autorité de la chose jugée) . Dès lors, la formulation de la décision doit être ferme.
La jurisprudence se forme également par la répétition. En effet, lorsque les juges sur un même problème répètent la solution retenue, ils contribuent à fixer cette solution et à la rendre constante. C’est cette répétition qui installe la jurisprudence et cette répétition est rendue possible par la hiérarchie judiciaire.
L’organisation judiciaire joue un rôle fondamental dans la formation de la jurisprudence. La jurisprudence doit provenir d’une Cour supérieure (la Cour de cassation pour l’ordre judiciaire et le Conseil d’Etat pour l’ordre administratif). En effet, la décision émanant du TGI sera beaucoup moins importante que celle émanant de la Cour de cassation. Lorsque le juge doit interpréter le même texte qu’une décision déjà rendue, il a tendance à se référer au raisonnement suivi par la Haute juridiction. Il conserve généralement le raisonnement juridique mis en place par la Cour précédente.
La jurisprudence : notion complexe
En définitive, la jurisprudence est une notion complexe opposant deux courants de pensée sur sa place en tant que source de droit.
Une partie de la doctrine se rattache à l’idéologie révolutionnaire étudiée plus-haut, et au principe de la séparation des pouvoirs. Selon ce courant, les juges ne peuvent participer à la création du droit puisque le législateur lors de la rédaction de la loi doit avoir tout prévu. Il n’est qu’un simple interprète de la loi.
Concernant l’autre partie de la doctrine, la loi ne peut pas tout prévoir. Étant donné que la loi se révèle parfois obscure, incomplète et qu’elle devient rapidement obsolète avec les évolutions de la société, le juge en vertu de l’article 4 du code civil ne peut se rendre coupable de déni de justice. Cet article, reconnait implicitement au juge, un pouvoir de créer un droit, lorsque celui-ci se révèle absolument nécessaire.