En liminaire, la compréhension de la notion de jurisprudence est importante afin de comprendre ce qu’est un revirement jurisprudentiel et pourquoi celui-ci est rétroactif.
Comme expliqué plus en détail dans la rubrique « qu’est-ce que la jurisprudence?», cette notion englobe l’ensemble des décisions de justice rendues par les juges pendant une certaine période et pourvues d’une signification normative.
La loi peut-être imprécise, voire inexistante, de la sorte afin de ne pas se rendre coupable de déni de justice, les magistrats se doivent de rendre une décision, en vertu de l’article 4 du Code civil. Ils créent ainsi du droit en interprétant et en adaptant la loi à des cas concrets. En d’autres termes, la Cour de cassation ou le Conseil d’État vont de manière répétée apporter la même réponse à une même question juridique. Les décisions rendues seront suivies par les juges du fond.
Le revirement jurisprudentiel
Toutefois, l’évolution de la société due aux progrès technologiques, scientifiques.., amènent les magistrats à se montrer prudents, et, parfois à interpréter une règle de droit de manière différente. Dans ce cas, on parle de revirements de jurisprudence des Hautes Juridictions (Cour de cassation, Conseil d’État). Ainsi, ces deux juridictions n’étant pas tenues par la jurisprudence, peuvent estimer qu’une décision juridique contraire est préférable.
Le droit étant une matière vivante et fugace, les revirements de jurisprudence représentent la préoccupation des magistrats d’adapter la justice aux problématiques actuelles de l’état de droit, tout en le faisant progresser.
En outre, les revirements de jurisprudence permettent de modifier des comportements qui ne sont plus adaptés à leur temps.
À titre d’exemple, on peut citer l’ancienne position de la Cour de cassation en matière de transsexualisme et de changement d’état civil.
En l’espèce, une personne ayant changé de sexe à la suite d’une opération, avait demandé une modification de son état civil, afin que celui-ci soit conforme à son apparence physique. Or, aucune disposition légale dans le droit français ne visant le cas du transsexualisme, la Cour de cassation jugea qu’il n’avait pas lieu d’opérer un tel changement d’état civil. Elle justifia sa décision par le principe d’indisponibilité de l’état des personnes, qui pose comme fondement que l’état d’une personne ne relève pas de sa volonté.
Or, suite à sa condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a revu sa position en estimant dans un arrêt du 11 décembre 1992, que «lorsque a la suite d’un traitement médico chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme, ne possède plus tous les caractères de son sexe et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence ».
Ainsi, grâce à cette décision, la Cour de cassation a comblé le vide juridique concernant le statut spécifique des transsexuels vis-à-vis de leur état civil.
Dès lors, au regard du principe de rétroactivité de la jurisprudence, cette nouvelle règle de droit va s’appliquer à toutes les situations juridiques relatives aux transsexuels quelle que soit la date de modification de leur apparence.
Le principe de rétroactivité de la jurisprudence
Le principe de rétroactivité de la jurisprudence signifie qu’une règle de droit jurisprudentielle règle des situations nées avant son adoption. Toute décision de justice est donc rétroactive. Les revirements de jurisprudence amplifient la rétroactivité, en effet, le juge va apprécier des faits antérieurs en fonction d’une nouvelle règle de droit.
Par un arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 9 octobre 2011, les magistrats ont énoncé une nouvelle fois la rétroactivité de la jurisprudence, et l’application de celle-ci à des faits accomplis avant sont prononcés.
En l’espèce, un médecin en 1974 procède à un accouchement mais l’enfant se présente par le siège. Ce professionnel de santé avertit la mère sur la jurisprudence de l’époque qui donne obligation au médecin de mettre en garde les femmes enceintes sur les risques courants liés à l’accouchement par voie basse.
Cependant, l’enfant nait handicapé et à sa majorité il poursuit en responsabilité le médecin en se fondant sur une jurisprudence de la cour de cassation du 17 octobre 1998 qui exige que le médecin donne une information au patient sur tous les risques encoures durant un accouchement par siège, même si les risques sont exceptionnels. La décision sur laquelle se fonde l’enfant est un revirement de jurisprudence.
Toutefois, le juge du fond rejette cet argument énonçant qu’en 1974, les professionnels de santé n’étaient pas tenu de délivrer une information aussi détaillée de l’accouchement par voie basse. De la sorte, le juge du fond estime que la règle jurisprudentielle applicable ne peut-être que celle énoncée au moment des faits.
Or, la Cour de cassation ne tranche pas l’affaire dans ce sens, et énonce une nouvelle fois le principe selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un droit acquis à une jurisprudence figée. ».
Cet exemple jurisprudentiel montre les risques liés au revirement de jurisprudence et au principe de rétroactivité de celle-ci.
Néanmoins, même-ci ce principe semble créer une insécurité juridique, il se justifie.
Raison d’être de la rétroactivité de la jurisprudence
Aux termes de l’article 2 du Code civil qui dispose que : « la loi ne vaut que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Par cet article le législateur est venu poser le principe de la non rétroactivité de la loi, mais pas de la jurisprudence. Aucun texte ne fait mention de la non rétroactivité de la jurisprudence.
Dans la mesure où la loi intervient avant que la personne agisse et que le justiciable connaît la loi au moment des faits jugés, même si la loi change entre les faits et leur jugement, en droit français, seule la loi en vigueur au moment des faits, peut être appliquée.
A l’inverse, la décision du juge intervient après la loi en vigueur. La jurisprudence intervient donc par nature a posteriori. De la sorte, même si l’interprétation du juge change, et qu’il opère un revirement de jurisprudence, la loi est toujours la même. Une partie ne peut pas se prévaloir de l’interprétation qui existait un jour. Comme l’a rappelé la CEDH dans sa décision, Legrand C/ France du 26 mai 2011 « nul n’a de droit acquis à une jurisprudence figée » ou encore sa décision du 18 décembre 2008, Unedic C/ France.
En effet, il est interdit pour le juge de rendre des décisions générales et réglementaires. (article 5 du Code civil). En d’autres termes, les décisions rendues par le juge doivent être applicables seulement au cas déterminé, et ne pas constituer une règle de droit qui sera applicable obligatoirement à tous les cas analogues.
L’article 5 du code civil est lié à l’autorité de la chose jugée définit à l’article 1351 du même code. Cet article limite les décisions rendues par les juges aux faits jugées et entre les parties du litige.
Enfin, au regard de l’article 4 du CC, la jurisprudence a un rôle interprétatif. Or, si un revirement jurisprudentiel est opéré, par fiction juridique on considère que la loi a toujours eu le même sens. En effet, la loi ne peut avoir qu’un seul sens.
De ce fait, son interprétation ne peut s’appliquer que rétroactivement. La jurisprudence est donc nécessairement rétroactive par nature.