Voici une liste non-exhaustive de dix grands revirements de jurisprudence et leur portée.
Cass. Ass. plén., 11 décembre 1992
La Cour de cassation s’est longtemps opposée aux demandes de modification de la mention relative au sexe sur l’état civil des transsexuels, en vertu du principe d’indisponibilité de l’état des personnes. Toutefois, suite à la condamnation de la France en 1992 par la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, à opérer, un revirement de jurisprudence : « lorsque à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme, ne possède plus tous les caractères de son sexe et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »
Cass. Ass. pl., 1 décembre 1995 (4 arrêts)
Dans ces affaires, une société a conclu avec un prestataire un contrat-cadre de location et d’entretien d’une installation téléphonique en contrepartie de l’acquittement d’une redevance indexée. Qui plus est, la convention stipulait que toutes modifications demandées par l’administration ou l’abonnée seraient exécutées aux frais de celui-ci selon le tarif en vigueur. Or, la société abonnée n’a pas payé la redevance. De la sorte, la compagnie téléphonique a décidé de résilier le contrat la liant à la société abonnée.
Ainsi, face à ces quatre affaires, l’Assemblée Plénière a opéré un revirement de jurisprudence en matière de détermination du prix. Elle a estimé que, dans le cadre des contrats cadres, l’exigence d’un objet déterminé ou déterminable, ne s’applique pas à la détermination du prix et n’est donc pas une condition de validité de ce type de contrat. Ainsi, il suffit que le prix soit fixé, (par au moins l’une des parties). Toutefois, afin d’éviter que le prix fixé unilatéralement le soit arbitrairement, le juge contrôle, au moment de l’exécution du contrat, si celui-ci n’est pas abusive. Si la fixation est abusive, la sanction est alors la résiliation du contrat et/ou des dommages et intérêts.
Cass. Civ 2 ème, 19 février 1997, Arrêt BERTRAND
Avant 1997, il était admis en droit français que les parents étaient présumées avoir commis une faute de surveillance ou d’éducation, lorsque leur enfant avait causé un dommage. Cette présomption était simple et les parents pouvaient s’exonérer en prouvant que le dommage causé par l’enfant n’était pas du à une faute de leur part.
Mais, la position de la Cour et de la jurisprudence a été bouleversé avec l’arrêt Bertrand. En l’espèce, un motocycliste et en enfant de 12 ans à vélo ont une collision.
Le conducteur du motocycle intente alors une action contre le mineur et son père.
La Cour de cassation retient la responsabilité du père, et lui refuse toute possibilité de s’exonérer par la preuve de l’absence de faute, au motif que seule la force majeure ou la faute de la victime aurait pu l’exonérer de la responsabilité de plein droit encourue par application de l’art. 1384 al. 4 CC.
Cass, Civ 1ère, 7 octobre 1998, Arrêt CLINIQUE DU PARC
Avant 1998, l’obligation d’information du médecin ne devait porter que sur les risques prévisibles.
En l’espèce, une patiente victime d’une chute lui ayant causé une fracture de la deuxième vertèbre lombaire a, en raison d’une cyphose lombaire persistante, subi une intervention, pratiquée par un chirurgien à la Clinique du Parc. Cette intervention consistait en la mise en place d’un cadre de Hartchild et devait être suivie dans un deuxième temps d’une greffe vertébrale. Le chirurgien avait alors informé sa patiente des risques prévisibles de l’opération. Or, l’après-midi de l’intervention, des troubles de l’oeil gauche se sont manifestés. Le chirurgien suite à cet incident, a modifié la thérapeutique prescrite et a organisé une consultation ophtalmologique en urgence. Toutefois, cette affection a eu pour conséquence la perte fonctionnelle définitive de l’oeil.
La Cour de cassation par cet arrêt à poser comme principe qu’« hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés. Il n’est pas dispensé de cette information par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement ».
Autrement dit, hormis certains cas, le médecin est tenu de donner une information au patient sur tous les risques encoures, même si les risques sont exceptionnels.
Cass, Civ 2ème, 18 janvier 2001
En l’espèce, une société a passé commande d’un produit d’alimentation animale auprès de la société X qui s’est approvisionnée auprès de la société Ecopsi dont le siège social est dans le Pas-de-Calais. La société Ecopsi a directement fourni la société X jusqu’au 22 avril 1994, date à laquelle elle a cessé ses livraisons. De la sorte, X a alors assigné la société Ecopsi devant le tribunal de commerce de Rennes en résolution du contrat et en réparation de son préjudice. Or, la société Ecopsi a soulevé in limine litis une exception d’incompétence au profit du Tribunal de commerce d’Arras. Par la suite, le Tribunal de commerce de Rennes s’étant déclaré compétent, la société Ecopsi a formé un contredit.
La jurisprudence a longtemps considéré que le lieu de livraison effective de la chose était le lieu où la chose a effectivement été livrée, c’est-à-dire remise à son destinataire.
Par cet arrêt, la Cour de cassation a procédé à un revirement de jurisprudence. Elle a considéré, dans le cadre d’une action en résiliation d’un contrat pour non-livraison de la chose vendue, que « le lieu de livraison effective s’entend de celui où la livraison a été ou doit être effectuée »
Cass. 3ème civ., 27 mars 2002 – TRÉVISAN
En l’espèce, les consorts Trévisan renouvellent le contrat de location des locaux dont ils sont propriétaires au profit de la société Confort Service aux droits à laquelle viennent les époux Basquets. Or, le 16 septembre 1986, cette société Confort Service a souscrit un contrat de franchise avec le groupe Conforama. En réaction, les consorts Trévisan ont notifié à la société Confort Service, le 29 mai 1987, un congé avec refus de renouvellement du contrat de bail et une offre d’indemnité d’éviction. La question posée à la Cour était de savoir si, un franchisé peut-il se prévaloir d’une clientèle qui lui est propre ?
Avant 2002, le statut du preneur franchisé n’était pas défini en ce qui concerne son droit à une clientèle propre lui permettant de tenir un fonds de commerce. La Haute juridiction, a opéré un revirement de jurisprudence, en considérant que le franchisé ou le concessionnaire développe une clientèle propre au plan local, tandis que le franchiseur ou concédant a sa propre clientèle au plan national. La Cour a considéré que, « la clientèle locale est attirée par les moyens (ex : fournisseurs) et le savoir-faire mis en œuvre par le franchisé à ses risques et périls, même s’il bénéficie de la marque et du savoir-faire du franchiseur. »
Cass, Civ 3ème, 22 juin 2005
En l’espèce, une société a conclu avec une autre une promesse de vente portant sur immeuble de grande hauteur.
La société ayant vendu le bien, avait dissimulé à l’autre société la situation exacte de l’immeuble au regard des règles des immeubles de grande hauteur et le montant des charges et le montant réel des charges de sécurité qu’elle se devait de communiquer compte tenu de la particularité d’un tel immeuble.
La question posée à la Cour était de savoir si l’errans pouvait demander la nullité d’un acte sur le fondement du dol incident.
Pendant longtemps, la jurisprudence a affirmé que le dol sans lequel on aurait contracté à d’autres conditions ne peut justifier que l’allocation de dommages et intérêts, non la nullité du contrat. Cette position a été remise en cause par la Cour de cassation qui a opéré un revirement de jurisprudence. Par cet arrêt, la Cour condamne expressément les conséquences de la distinction, opérée jusqu’ici, entre dol principal et dol incident, l’un comme l’autre sont sources de nullité.
Cass, Ch. Soc, 23 novembre 2016 (2 arrêts)
En l’espèce, Mme X, a été engagée en qualité de caissière par LIDL pour une durée mensuelle de 112,38 heures. De plus, entre 2005 et 2010, afin de remplacer, pendant une période limitée, une chef-caissière, elle a signé plusieurs avenants temporaires au contrat de travail ayant pour effet de porter la durée contractuelle du travail de 26 à 31 heures hebdomadaires et d’augmenter sa rémunération. Cependant, à l’issue de deux examens médicaux des 21 juin et 2 août 2011, le médecin du travail l’a déclarée inapte à son poste. Mme X a alors été licenciée le 6 octobre 2011 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Avant cette décision, le principe était que « l’employeur ne doit pas tenir compte, pour le périmètre des recherches de reclassement d’un salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, de la position exprimée par ce salarié ».
La Haute cour a opéré un revirement de jurisprudence en estimant que, l’employeur peut prendre en compte la position exprimée par le salarié déclaré inapte par le médecin du travail, pour le périmètre des recherches de reclassement et que « la prise en compte de la position du salarié n’est qu’une simple possibilité pour l’employeur, pour lequel subsiste, par ailleurs, une obligation de justifier son impossibilité de reclassement, au besoin par des mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagements de temps de travail, tant au sein de l’entreprise, que le cas échéant, au sein des entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent d’y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. »
Cass, Ch. Soc, 14 fév. 2018
En l’espèce, entre le 1er octobre 2009 et le 11 janvier 2013, Mme Z…, salariée de la société Supplay, entreprise de travail temporaire, a effectué au sein de la société Flam’up vingt contrats de mission de manutentionnaire, fondés, pour la plupart, sur un motif lié à un accroissement temporaire de l’activité. De la sorte, la salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de requalification des contrats de mission en un contrat de travail à durée indéterminé.
Avant cette décision, en cas de multiplicité de CDD, la sanction était la requalification automatique en CDI. La Haute Cour, a jugé que la qualification de plusieurs CDD en CDI n’était pas automatique. Il est nécessaire dorénavant de démontrer la multiplicité de CDD, que le poste occupé concerne le fonctionnement normal et habituel de l’entreprise et qu’il n’existait pas de raison objective de recourir au CDD