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C’est en vain que la société se prévaut, au visa de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, d’une irrégularité de la procédure de recouvrement tirée du défaut de remise de la charte de cotisant dès lors qu’il s’agit d’un contrôle effectué par les contrôleurs du travail dans le cadre de l’article L. 8221-1 du code du travail (Rennes. 9ème Ch Sécurité Sociale. 29 mars 2023. RG n° 20/03429).
Cette position semble classique et fidèle aux textes. Après tout, suivant l’article R 243-59 I al 1 et 2, l’organisme n’est pas tenu à l’envoi d’un avis de contrôle en cas de travail illégal. Or, c’est justement cet avis qui fait état de l’existence d’un document intitulé » Charte du cotisant contrôlé » présentant à la personne contrôlée la procédure de contrôle et les droits dont elle dispose pendant son déroulement et à son issue » (R 243-59 I al 5 – et cet avis est d’autant plus important que « les dispositions contenues dans la charte sont opposables aux organismes effectuant le contrôle » )…
Et pourtant !
Certes,on comprend aisément qu’un avis de contrôle n’ait pas à être envoyé avant un contrôle de travail dissimulé (V en ce sens Cass civ.2°. 29 novembre 2018. pourvoi n° 17-23331 – Toulouse, 4ème chambre sociale – section 3, 17 janvier 2020, RG n° 18/03224). Mais, on comprend moins que la Charte du cotisant qui indique ses droits à la personne contrôlée (c’est d’ailleurs le sens du préambule de ce document : la « Charte du cotisant contrôlé » vous informe sur vos droits et obligations lors du contrôle. Elle présente, de façon synthétique, les modalités de déroulement d’un contrôle ainsi que les droits et les garanties dont vous bénéficiez tout au long de cette procédure » (Arrêté du 31 mars 2022, JO du 13 avril), ne soit pas remise au cotisant dès le début des opérations de contrôle… La connaissance des droits et garanties serait-elle réservée aux personnes vertueuses ? Déjà convaincu d’une infraction faut-il encore réduire les droits du cotisant, instaurer une double peine ?
Plusieurs arguments militent en faveur de la connaissance de ces droits :
● le vaste champ d’application de la notion de travail illégal (C trav art L. 8221-1) voire sa « banalisation » qui rend indispensable la connaissance de ses droits par le cotisant. D’aucuns ont estimé qu’il s’agissait d’une notion « attrape tout » qui permettait d’inclure tout type d’irrégularité sans prendre en compte la réalité de l’intention frauduleuse. Entre ainsi dans la définition du travail dissimulé le cas de « Mamie Bistro » qui aide bénévolement son conjoint, le client du bar qui vient rapporter son verre au comptoir, l’entraide entre voisins, la personne qui vient aider son frère sur un marché, le fait de payer des heures supplémentaires en primes exceptionnelles, même si l’URSSAF ne subit aucun préjudice, les bénévoles qui aident au festival des francofolies, moyennant les repas et un pass gratuits… (V. N. Delecourt et F. Taquet. L’URSSAF, un cancer francais. Edts du Rocher. 2021). Ces exemples, où les cotisants sont de bonne foi, sont loin d’être anecdotiques ; ils constituent même l’activité essentielle des juristes dans le cadre du contentieux relatif au travail dissimulé.
● le nombre incalculable de textes promulgués (tant en matière de travail dissimulé qu’en ce qui concerne la procédure de contrôle), qui rend compliquée la connaissance du sujet. On ne compte plus en effet le nombre de lois et décrets qui se sont empilés en quelques années à tel point que l’étude du sujet est devenue ardue voire incompréhensive, même pour les professionnels les plus avertis !
● des sanctions démesurées qui peuvent être pénales, administratives, relatives au droit du travail. Qui plus est, l’employeur ne pourra se voir remettre l’attestation de vigilance (CSS art L 242-1-2), étant ainsi condamné à une mort certaine (et ce dès la constation de l’infraction c’est-à-dire avant le respect de la procédure contradictoire et tout contentieux).
● des pouvoirs sans limites pour les URSSAF. Pour ne citer que quelques exemples, les agents peuvent ainsi entendre « en quelque lieu que ce soit » tout employeur ou son représentant et toute personne rémunérée, ayant été rémunérée ou présumée être ou avoir été rémunéré (C trav art L8271-6-1) ; de même, lesdits agents se communiquent réciproquement tous renseignements et tous documents utiles à l’accomplissement de leur mission de lutte contre le travail illégal (C trav art L 8271-2). On relève également l’absence d’obligation de solliciter le cotisant pour la communication d’information, l’intéressé étant uniquement informé de la mise en œuvre de ce droit (CSS art L 114-19 et L 114-21).
Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette législation ne peut que laisser le juriste dubitatif. Comme l’ont indiqué certains auteurs, il s’agit d’« un arsenal d’une violence juridique et économique inouïe « (V. Sofiane Coly. Travail dissimulé : gare à l’URSSAF. RH Info. 6 avril 2018)
Une solution simple ne serait-elle pas de prévoir la remise de ladite Charte ou son envoi (en cas d’impossibilité) dès le début des opérations de contrôle ? Qu’y aurait-il d’indécent à réclamer que le cotisant soit informé du peu de droits auxquels il peut prétendre et ce, dès le début des opérations de contrôle ? Les pouvoirs publics ne seraient-ils pas fondés à s’enorgueillir d’une telle avancée de bon sens ?
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA