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Depuis quelques années, il est possible d’observer la profusion de sites internet et d’applications mobiles dédiées à la notation (avis) et à la comparaison de produits ou de services issus de différents domaines : hôtels, restaurants, projets touristiques mais aussi entreprises ou encore médecins ne sont pas épargnés par cette nouvelle particularité de l’ère numérique.
Au regard de ce constat, le développement de systèmes de notation concernant les avocats apparaissait inévitable.
Ainsi, en 2012, la société Jurisystem a créé le site avocat.net, devenu alexia.fr, dans le but de mettre en relation des avocats et des particuliers. Ceux-ci pouvaient alors noter et comparer les prestations des professionnels auxquels ils avaient eu affaire.
Le 30 janvier 2015, Le Conseil National des Barreaux (CNB) a toutefois obtenu auprès du tribunal de grande instance (TGI) de Paris l’interdiction pour Jurisystem de continuer à proposer aux particuliers de noter et de comparer les avocats sur son site alexia.fr. Ce jugement a été confirmé par la cour d’appel de Paris le 18 décembre 2015.
La société Jurisystem s’est alors pourvue en cassation, et la Cour de cassation a rendu un arrêt le 11 mai 2017 par lequel elle casse partiellement l’arrêt de la cour d’appel, notamment en ce qu’il interdit à Jurisystem de procéder et d’établir des comparateurs et notations d’avocats sur son site. La Cour de cassation a en effet considéré que « les tiers ne sont pas tenus par les règles déontologiques de cette profession, et qu’il leur appartient seulement, dans leurs activités propres, de délivrer au consommateur une information loyale, claire et transparente. »
En l’occurrence, Jurisystem a retiré de son site toute fonctionnalité de comparaison et de notation, et n’a été condamné qu’à verser un euro symbolique au CNB par l’arrêt de renvoi rendu le 7 décembre 2018 par la Cour d’appel de Paris. Celle-ci a en effet considéré que l’information délivrée par le site n’était ni loyale, ni claire, ni transparente.
Néanmoins, les autres sites proposant de noter et de comparer les avocats peuvent continuer à prospérer, si tant est qu’ils respectent les conditions énumérées par la Cour de cassation.
La notation : ce qu’en pensent les avocats
Outre la question du cadre juridique des systèmes de notation des avocats, il convient maintenant de se pencher sur le point de vue des intéressés : que pensent les avocats de ces systèmes ?
Les avis des professionnels sont très mitigés. Bien que beaucoup d’avocats soient encore réfractaires à l’usage de ces procédés, ils sont de plus en plus à y voir des éléments positifs, tels que la possibilité de prendre en compte les opinions des clients en vue d’améliorer la qualité de leurs services, ou encore le fait de pouvoir bénéficier de la publicité qu’impliqueraient des commentaires positifs sur leurs prestations.
Maître Laetitia Rigault, du cabinet Pragmalexis, fait la part des choses : « pour autant que cette notation soit fondée sur des éléments objectifs, le principe ne me heurte pas. Reste à déterminer les critères de notation. »
Ce faisant, Maître Rigault souligne la nécessité d’être prudent concernant la valeur des avis émis par les clients. Elle explique ainsi que « les clients n’ont pas une idée précise de ce que nous faisons et du degré de technicité déployé », et que « les particuliers ne sont, dans la plupart des cas, pas en mesure de porter un jugement de valeur sur la qualité du travail produit. Les professionnels sont parfois en mesure de l’apprécier, surtout lorsque le contact est un directeur juridique ou un DRH, mais dans les autres cas sont souvent tout aussi démunis. »
En ce sens, le risque est que l’avis d’un client ne soit fondé que sur le résultat. « Or, le seul résultat obtenu, lorsqu’il s’agit d’un contentieux, ne reflète pas non plus toujours la qualité de la prestation de l’avocat. »
Par conséquent, il apparaît indispensable de s’intéresser sérieusement aux critères de notation, dont la question est « bien entendu centrale pour que le résultat puisse être considéré comme un vrai indicateur ».
La question du secret professionnel
De plus, il semble pertinent de soulever la problématique liée au secret professionnel qui lie les avocats à leurs clients. En effet, lorsqu’un client mécontent émet un commentaire sur un site en divulguant le contenu de l’affaire traitée par son avocat, il devient impossible pour l’avocat en question de répondre à ce client sans violer le secret professionnel.
Selon les termes de l’article 2.1 du Règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN), ce secret est général, absolu et illimité dans le temps.
Il est possible d’y déroger dans certains cas, notamment lorsque l’avocat doit assurer sa propre défense. La chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi estimé, dans un arrêt du 29 mai 1989, que « l’obligation au secret professionnel d’un avocat ne saurait lui interdire, pour se justifier de l’accusation dont il est l’objet et résultant de la divulgation par un client d’une correspondance échangée entre eux, de produire d’autres pièces de cette même correspondance utiles à ses intérêts ».
Cela ne permet toutefois à l’avocat de révéler des informations relatives à son affaire que dans le cas de sa défense devant « toute juridiction » (article 2.1, RIN), ce qui exclut donc l’hypothèse dans laquelle les avocats pourraient répondre aux commentaires négatifs en se fondant sur des éléments des affaires dont il est question.