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L’émergence des réseaux sociaux, applications et objets connectés collectant des données à caractère personnel, a favorisé la mise en péril de la vie privée de leurs utilisateurs. Les risques encourus sont nombreux comme notamment le fichage des internautes ou encore le commerce des données personnelles collectées.
Le principe de la mise à disposition gratuite des décisions de justice, à condition que soit respectée la vie privée des justiciables concernés, s’inscrit au cœur de cette tendance.
En effet, la publication et la diffusion massive de l’ensemble de la jurisprudence en open data a amené la problématique suivante : Comment concilier les principes de publicité de la justice et d’accès au droit en prenant en compte le droit à l’oubli et au respect de la vie privée ?
Pour ce faire le législateur a d’abord consacré le principe de la mise à disposition gratuite des décisions de justice à condition que soit respectée la vie privée des personnes concernées avec la loi n°2016-1321 du 07 octobre 2016 pour une République numérique. Celle-ci garantissait ce respect en imposant un examen préalable du risque de réidentification des personnes.
Néanmoins, les parlementaires ont finalement choisi d’abandonner ce contrôle préalable au profit de l’anonymisation des décisions rendues par les tribunaux. Ils ont ainsi adopté l’article 33 de la loi du 23 mars 2019 traitant de la question de l’open data des décisions de justice en matière judiciaire.
Ces dispositions, entrées en vigueur le 25 mars 2019, sont désormais régies par les articles L.111-13 et L.111-14 du Code de l’organisation judiciaire (COJ). Elles encadrent la mise à disposition des jugements au public à titre gratuit sous forme électronique par quatre grands principes.
Les 4 grands principes qui encadrent les dispositions entrées en vigueur cette année
L’anonymisation des noms et prénoms des personnes physiques
L’article L.111-13 du COJ prévoit que soient anonymisés les « nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers », et ce avant la mise en ligne de cette dernière.
Cette anonymisation vient remplacer l’analyse du risque de ré-identification des personnes précédant la mise à disposition du public instituée par la loi du 07 octobre 2016 et assure ainsi une meilleure garantie de la vie privée des personnes concernées.
L’occultation de tout élément d’identification en cas de risque pour la sécurité des personnes ou d’atteinte à leur vie privée
Cet article dispose également que les éléments de la décision permettant l’identification des parties, des magistrats ou des greffiers doivent être occultés lorsqu’il existe un risque d’atteinte « à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage ».
En réaction, le Conseil National des Barreaux (CNB) réuni en Assemblée Générale les 14 et 15 juin 2019 a d’ailleurs demandé à ce qu’« un traitement identique soit réservé aux données d’identité des avocats dans le cadre de la diffusion des décisions de justice ».
L’interdiction d’effectuer des statistiques à partir des données d’identité des magistrats et des membres du greffe
Le législateur a également pris soin d’interdire strictement la réutilisation des données relatives à l’identité des magistrats et greffiers afin de réaliser des analyses statistiques prédictives et/ou comparatives de la manière de traiter un type de contentieux en fonction de la juridiction donnée. Ce type d’analyse constitue une atteinte aux droits de la personne sanctionnée par les articles 226-18 et suivants du Code pénal.
L’interdiction d’effectuer des statistiques à partir des données d’identité des magistrats et des membres du greffe
Le législateur a également pris soin d’interdire strictement la réutilisation des données relatives à l’identité des magistrats et greffiers afin de réaliser des analyses statistiques prédictives et/ou comparatives de la manière de traiter un type de contentieux en fonction de la juridiction donnée. Ce type d’analyse constitue une atteinte aux droits de la personne sanctionnée par les articles 226-18 et suivants du Code pénal.
La possibilité pour les greffes d’opposer un refus aux demandes abusives des legaltechs
Le parlementaire a également pris soin de spécifier à l’article L.111-14 du COJ que si le principe est bien celui d’un droit de mise à disposition du public des décisions de justice à titre gratuit, les greffes peuvent opposer un refus aux legaltechs en cas d’abus à savoir de demandes répétitives, massives ou systématiques.
Il convient de préciser que la copie d’un jugement qui est transmise par un greffe à la demande d’un tiers n’est pas anonymisée alors que dans le cadre de l’open data à savoir la mise en ligne d’un jugement, il doit obligatoirement être pseudonymisé.
Cela signifie concrètement que lorsqu’on a accès à une copie de décision on peut lire « Monsieur Dupont ». Cette mention devra, en revanche, être remplacée par Monsieur Y dans le cadre de l’open data.
Ainsi lorsqu’une legaltech fait une demande de copie de décision à un greffe elle devra l’anonymiser avant de la mettre en ligne.
Juri’Predis se dote de son propre logiciel d’anonymisation
C’est pour cette raison que notre solution, adoptée par la Conférence des Bâtonniers, s’est dotée de son propre logiciel d’anonymisation afin de pouvoir intégrer un maximum de jurisprudences qui ne l’ont pas encore été et de les mettre le plus rapidement possible à la disposition de nos utilisateurs. Ainsi, environ deux semaines après qu’une décision soit rendue, cette dernière sera intégrée dans la base de données du moteur de recherche en toute légalité.
L’anonymisation des décisions de justice est donc la solution adoptée par le législateur français pour permettre la publication sur internet de l’ensemble des décision rendues en préservant la vie privée des justiciables. Le cadre posé par la loi du 23 mars 2019 doit cependant être précisé par un décret d’application pris après avis du Conseil d’état et de la CNIL afin que les conditions d’application de l’article L. 111-13 du COJ soient correctement définies.
Cet article a été rédigé par Lésia Burel, Éléve-avocat et Juriste chez Juri’Predis.