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L’éthique prend une importance particulière lorsqu’il s’agit de l’IA. L’éthique de l’Intelligence Artificielle juridique concerne les valeurs qui doivent encadrer l’utilisation de ces technologies. Ces valeurs comprennent : respect des droits fondamentaux, absence de discrimination, transparence, sécurité et maîtrise par l’utilisateur. La Commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) a adopté ces principes dans la charte éthique européenne de l’IA dans les systèmes judiciaires en décembre 2018.
Les enjeux soulevés touchent à des aspects essentiels de notre société tels que les libertés individuelles, le secret des affaires et les systèmes de sécurité sociale et de retraite. L’IA promet des avancées significatives. Néanmoins il est essentiel de réguler soigneusement ses applications afin d’éviter les dérives.
Maxime Voisin, juriste chez Juri’Predis, offre un regard éclairé sur les défis éthiques de l’intégration de l’IA juridique.
Les principaux défis éthiques liés à l’intégration de l’IA
Face à l’intégration croissante de l’Intelligence Artificielle, Maxime Voisin met en avant 6 enjeux éthiques auxquels les juristes sont confrontés :
- L’opacité des systèmes d’IA : Les IA, souvent comparées à des boîtes noires, posent un défi. Les juristes doivent justifier leurs réponses, ce qui devient difficile lorsque les systèmes ont un fonctionnement interne méconnu.
- Les biais et la discrimination : Les IA apprennent à partir de données existantes, qui peuvent contenir des biais historiques. Par conséquent, ces biais peuvent être reproduits et amplifiés par l’IA. Si le jeu de données utilisé par l’IA est biaisé, alors les résultats le seront également. Ce biais pose un sérieux problème de discrimination.
- La constitution du jeu de données : En lien avec le point précédent, la constitution du jeu de données est l’un des enjeux principaux des systèmes d’IA. Plusieurs problématiques sont soulevées : les droits d’auteur et droits voisins, l’historique des données d’entrainement, la qualité et la complétude du jeu de données.
- La responsabilité : En cas de décision incorrecte ou biaisée d’une IA, il est difficile de déterminer qui est responsable. Cela peut être le producteur de l’IA, l’entreprise qui l’utilise ou d’autres. Des qualifications préexistantes peuvent être applicables, des cadres législatifs commencent à émerger, mais beaucoup reste à clarifier.
- La protection des données : Le RGPD s’impose aux systèmes d’IA quels qu’ils soient dès lors que ces derniers traitent des données à caractère personnel, ce qui est quasiment systématique. Les systèmes d’IA doivent donc respecter les principes du traitement et toutes les autres obligations découlant du règlement.
- L’impact sur l’emploi : Il est possible que certaines tâches peu qualifiées soient remplacées. Mais, l’effet principal se situe au niveau de la transformation et de l’amélioration des emplois actuels. L’IA permet d’automatiser des tâches moins intellectuelles, ce qui génère des gains de temps et de se concentrer sur des taches à plus forte valeur ajoutée.
La protection des données à l’ère de l’Intelligence Artificielle juridique
Le RGPD apporte des garanties essentielles pour assurer la protection des données personnelles dans le contexte de l’Intelligence Artificielle juridique. Ces données sont omniprésentes dans les décisions de justice, les dossiers clients et autres documents légaux. Comme l’explique Maxime Voisin, leur utilisation constitue un traitement au sens du RGPD. Chaque traitement de données personnelles doit respecter les principes établis par ce règlement :
- Licéité, loyauté et transparence du traitement
- Finalité déterminée et légitime du traitement
- Minimisation des données
- Exactitude et conservation des données
- Intégrité et confidentialité des données
Le RGPD applique une logique d’accountability c’est-à-dire une obligation pour les responsables de traitement de mettre en œuvre des mécanismes et procédures permettant de démontrer leur conformité. Celle-ci s’applique à tout traitement de données, y compris avec l’IA.
Les défis de l‘Intelligence Artificielle juridique face aux droits des individus
Le respect des droits des individus constitue un défi majeur pour l’Intelligence Artificielle juridique. Les contradictions entre divers cadres juridiques, la nécessité de minimiser les données collectées et l’impératif de transparence représentent autant d’obstacles à surmonter.
La minimisation des données est un principe clé du RGPD. Il faut collecter et traiter uniquement les données strictement nécessaires. Cette exigence permet de réduire les risques liés à la collecte excessive de données. Une tendance généralement observée dans les systèmes d’IA.
De plus, la transparence envers l’utilisateur est également primordiale. La mise en place de politiques d’informations claires et intelligibles peuvent répondre à cette obligation.
Au même titre, la confidentialité revêt une importance capitale. Certaines informations personnelles, relevant de secrets d’affaires ou de secrets de fabrique peuvent être divulguées de manière inappropriée. Ainsi, il est donc impératif de mettre en place des mesures robustes pour protéger la confidentialité des données. Ces mesures permettent d’éviter tout accès non autorisé ou toute divulgation indésirable (respect du droit d’opposition des personnes concernées, système d’opt-out pour les données d’entrainement, absence d’enregistrement ou de réutilisation des prompts …).
Régulations européennes pour une IA éthique
Les régulations européennes, telles que le règlement européen sur l’IA adoptée en mai 2024, abordent une partie des défis éthiques posés par l’IA dans le domaine juridique. Elles imposent des exigences de transparence pour tous les systèmes d’IA, ainsi que des critères stricts de pertinence et d’intégrité des jeux de données. De plus, elles renforcent la responsabilité des producteurs d’IA, adoptant ainsi une logique d’accountability similaire à celle du RGPD.
Ces régulations se complètent et abordent déjà plusieurs enjeux liés à une utilisation éthique de l’IA. L’IA Act fait d’ailleurs directement référence au RGPD pour obtenir le marquage « CE » nécessaire à la commercialisation des systèmes d’IA à haut risque, soulignant ainsi une certaine cohérence entre les deux cadres réglementaires.
L’IA et l’emploi : une évolution naturelle
Ces régulations ne prennent pas explicitement en compte l’impact sur l’emploi. Selon Maxime Voisin « Le marché du travail évoluera naturellement. Les individus développent de nouvelles compétences et s’adaptent à l’utilisation des systèmes d’IA ». Il remet ainsi en question la nécessité d’une législation spécifique sur ce point. Pour lui, le marché du travail s’auto-régulera au fil du temps.
L’Impact environnemental de l’IA
L’IA représente une demande énergétique considérable, une problématique que les régulations actuelles commencent progressivement à aborder. Dans ce contexte, une suggestion importante émerge : « L’impact environnemental des logiciels d’IA devrait être mieux pris en compte dans le marquage CE ».
Pratiques éthiques pour une IA responsable dans le domaine juridique
Afin d’avoir une utilisation éthique de l’IA, plusieurs recommandations peuvent être apportées. Tout d’abord, l’importance pour les juristes de remettre en question les résultats proposés par l’IA. « Tout bon juriste doit remettre en question les informations qu’on lui donne et donc les résultats proposés par l’IA. Il ne faut pas se fier aveuglément à ce qu’on nous dit ». Ensuite, la nécessité de comprendre le fonctionnement des modèles d’IA utilisés. Les données d’entraînement doivent également être pris en compte. Pour finir, une attention particulière doit être apportée pour éviter la divulgation de données sensibles. Maxime souligne la nécessité de former les utilisateurs à cet égard, surtout ceux interagissant quotidiennement avec les systèmes d’IA.
Par conséquent, il est important pour les utilisateurs de ne pas se fier aveuglément à l’IA. Ils auraient plutôt intérêt à l’utiliser comme un outil complémentaire à leur propre réflexion. Il est essentiel de conserver une pensée critique et de ne pas abandonner entièrement les méthodes traditionnelles de recherche et de réflexion. En effet, bien que l’IA puisse offrir des avantages significatifs, il est essentiel de ne pas perdre de vue les compétences humaines et la nécessité de les développer continuellement.
L’équipe Juri’Predis