De l’usage de l’intelligence artificielle en droit : rencontre avec Warren Azoulay

Publié le 5 septembre 2024

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L’intelligence artificielle progresse à une vitesse fulgurante dans le monde du droit. Saluée d’un côté, ignorée de l’autre… Comment s’en servir ? Rencontre avec Warren Azoulay, directeur délégué en charge de la recherche et du développement de Juri’Predis, enseignant-chercheur à l’Université d’Aix-Marseille et avocat au barreau de Marseille.


Nos problèmes juridiques bientôt tous résolus via l’IA ?

C’est ce qu’il a failli se passer dans certains pays… En janvier 2023, un juge colombien utilisait ChatGPT pour rendre une décision de justice. En mai 2024, une avocate new-yorkaise citait des décisions judiciaires inventées par ChatGPT lors d’un procès.

Le problème dans ces affaires, selon Warren Azoulay, réside dans une confiance aveugle envers l’IA. Il ne faut pas tomber dans l’illusion de l’autosuffisance de l’IA. « La vraie erreur, ce n’est pas l’IA qui l’a commise, mais l’humain, parce qu’il ne relit pas ». Cela découle souvent d’un manque de compétence ou de motivation. La supervision humaine constante est importante pour éviter des erreurs potentiellement graves.

La confiance envers l’IA nous amène à considérer les enjeux éthiques et réglementaires qu’elle bouleverse. Notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle.


Concilier IA et propriété intellectuelle   

« L’IA ne crée pas au sens intellectuel du terme. Elle génère du contenu qui n’existait pas auparavant, mais ce n’est pas une création authentique »précise W.A. La création implique une originalité et une intention humaine que l’IA ne peut pas reproduire.

Pourtant, la propriété intellectuelle est un domaine où l’IA pose des défis considérables. Les IA génératives en musique, peinture et texte soulèvent des questions complexes sur les droits d’auteur. « Il y a eu de nombreux cas où des IA ont violé les droits de créateurs en utilisant leurs œuvres pour s’entraîner », explique-t-il. Cela soulève des préoccupations éthiques sur l’utilisation de l’IA et appelle à une régulation stricte.

Juri’Predis , en autres, a développé ses outils en respectant scrupuleusement les droits de propriété intellectuelle et les normes réglementaires. Une approche éthique inspirante pour assurer une utilisation responsable de l’IA. Aujourd’hui, la conformité RGPD et LCB-FT sont en effet des règles d’hygiène indispensables. « En matière de droits d’auteurs, il faudra davantage d’experts, notamment des juristes, pour pouvoir examiner ce qui se passe, car la CNIL ne pourra pas tout faire. »

Les enjeux liés à la propriété intellectuelle mettent en évidence la nécessité de clarifier les responsabilités légales dans ce domaine.


Responsabilité juridique et IA

La question de la personnalité juridique de l’IA suscite des débats. Bien que certains plaident pour cette reconnaissance, notre expert propose une approche plus pragmatique : « Il serait préférable d’attribuer la responsabilité à l’éditeur de l’IA, tel que le fabricant dans le domaine des voitures autonomes, qui est tenu pour responsable des incidents résultant de défaillances technologiques ».

Il poursuit : « On pourrait très bien affirmer qu’il existe une responsabilité de la personne ou de l’éditeur qui met l’IA sur le marché. Tout au long de l’utilisation et de la mise à disposition de son outil, cette personne en sera juridiquement responsable ». Les problématiques d’erreurs générées par l’IA sont des difficultés émergentes qui ne sont pas encore résolues par la Commission européenne. « Nous pourrions très bien partir du principe que la responsabilité incombe à l’éditeur de l’IA plutôt qu’au logiciel lui-même ».

Cette réflexion sur la responsabilité juridique de l’IA fait écho aux incertitudes entourant l’évolution de la profession d’avocat. 


Réussite de ChatGPT à l’examen du barreau : une menace pour la profession ?

GPT-4 a réussi cet examen en mars 2023 avec un score parmi les 10 % des meilleurs candidats. « Est-ce que cela signifie vraiment quelque chose si une IA réussit l’examen du barreau ? Cela remet en question notre postulat de base sur la nature de ces examens » dit-il. L’examen, étant un exercice de logique, ne teste pas les compétences humaines nécessaires pour pratiquer le droit, telles que la persuasion et l’interprétation contextuelle.

« En France, les examens juridiques requièrent la rédaction d’actes, une compétence plus complexe que de répondre à des QCM. Cependant, même dans ce contexte, une IA pourrait probablement réussir. Cela montre la nécessité de réformer nos méthodes d’évaluation pour qu’elles reflètent mieux les compétences pratiques et non seulement théoriques. ».

La réussite de ChatGPT à l’examen du barreau met en lumière les avancées rapides de l’IA. Cependant, elle soulève aussi des interrogations sur son utilisation dans l’éducation et ses implications sur le rôle futur des avocats.


L’IA, outil ou danger pour l’éducation ?

L’interdiction de l’utilisation de ChatGPT dans certaines universités en Australie et à Sciences Po suscite des interrogations sur son rôle dans l’éducation. « ChatGPT ne fait rien d’autre que ce que fait un avocat : un avocat est un modèle génératif ». L’être humain excelle en tant que modèle génératif par rapport à ChatGPT. 

Bien que l’IA puisse accumuler tout le savoir qui lui est transmis, il lui manque la capacité de saisir l’ensemble de notre connaissance et de comprendre les nuances subtiles qui font la spécificité de chaque cas. « La véritable question à considérer est de savoir si nous allons compromettre la part de créativité humaine dans tous les domaines du droit, ou si nous allons laisser cette créativité s’épanouir ». Il met en lumière le fait que l’intelligence artificielle est conçue pour renforcer notre créativité, au-delà d’alléger notre charge de travail.

« L’objectif de l’IA est d’optimiser le traitement des dossiers, en permettant à l’avocat de se concentrer sur les aspects les plus complexes et délicats de chaque cas ». Bien que ChatGPT soit un outil destiné à simplifier le processus, il ne remplace pas le travail méticuleux et précis de l’avocat. « ChatGPT vient dégrossir le dossier pour pouvoir échanger avec le client. C’est ensuite, que l’avocat doit aller dans la finesse ». L’IA devrait être perçue comme un allié de l’avocat, l’aidant à s’acquitter de ses tâches de manière plus efficace. Toutefois, elle ne doit en aucun cas substituer la réflexion et l’analyse humaine.

Il est essentiel de reconnaître que l’IA ne peut pas remplacer totalement l’analyse et la compréhension humaine. Plutôt que de la craindre comme une menace pour l’éducation et la profession juridique, nous devrions la voir comme un outil précieux, capable d’améliorer les processus tout en préservant l’importance de la réflexion humaine et de la créativité. Intégrer cela est par conséquent la clé pour exploiter pleinement le potentiel de l’IA tout en maintenant l’intégrité et les valeurs fondamentales du système juridique. 

L’équipe Juri’Predis