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Déontologie et éthiques : des principes que l’on partage avec vous
Si les articles R. 142-1 R. 142-10 du code de la sécurité sociale, subordonnent la saisine du pôle social du tribunal judiciaire à la mise en œuvre préalable d’un recours non contentieux devant la commission de recours amiable instituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme social, ces dispositions réglementaires ne confèrent pas pour autant compétence à la juridiction judiciaire pour statuer sur le bien-fondé de cette décision, qui revêt un caractère administratif (Amiens. 2° protection sociale. 23 janvier 2024. RG n° 22/04183)
L’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 23 janvier 2024 est tout à fait révélateur de la difficulté pour le juge judiciaire d’intégrer le Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), issu de l’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015 et du décret n° 2015-1342 du même jour.
Ainsi, la Cour décide t-elle que si les articles R. 142-1 R. 142-10 du code de la sécurité sociale, subordonnent la saisine du pôle social du tribunal judiciaire à la mise en oeuvre préalable d’un recours non contentieux devant la commission de recours amiable instituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme social, ces dispositions réglementaires ne confèrent pas pour autant compétence à la juridiction judiciaire pour statuer sur le bien-fondé de cette décision, qui revêt un caractère administratif (V. dans le même sens : (TJ Versailles, CTX PROTECTION SOCIALE, 19 janvier 2024, RG n° 23/00529, TJ Lyon, CTX PROTECTION SOCIALE, 19 janvier 2024, RG n° 19/01910, Rouen, Chambre sociale et des affaires de sécurité sociale, 19 janvier 2024, RG n° 21/04905). Bien que sans cesse répétée, cette position est éminemment contestable.
En effet, suivant l’article L 100-3 du CRPA, on entend par « Administration : les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ». Cette simple disposition signifie, sauf exception, que les relations URSSAF/cotisants entrent dans le champ d’application du CRPA et lui sont donc soumises. Qui plus est, trois points essentiels doivent être relevés :
- D’abord, la mise en demeure, doit être considérée comme une « décision de recouvrement » (Cass civ.2°. 14 février 2019. pourvoi n° 17-27759 – Nîmes. 5° chambre Pôle social. 15 juin 2023. RG n° 21/01055)..
- Ensuite, le recours devant la Commission de recours amiable est désormais considéré comme un recours préalable obligatoire (V. article R 142-1 inclus dans une section 2 intitulée : « Recours préalable obligatoire », et une sous-section 1 qui dans le décret n° 2018-928 du 29 octobre 2018 était intitulée : « Recours administratif préalable obligatoire mentionné à l’article L142-4 »). C’est en effet l’article L142-4 du Code de la sécurité sociale qui dispose que « les recours contentieux formés dans les matières mentionnées aux articles L142-1, à l’exception du 7°, et L142-3 sont précédés d’un recours préalable, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ».
- Enfin, « la décision prise à la suite d’un recours administratif préalable obligatoire se substitue à la décision initiale » (CRPA art. L 412-7)
La situation semble claire et s’interpréter ainsi s’agissant du contentieux applicable en matière de sécurité sociale : la décision de la CRA se substitue et donc, remplace la mise en demeure qui disparaît donc de l’ordre juridique.
Dès lors, on comprend mal (voire pas du tout) la position de maintes cours d’appel suivant laquelle la juridiction judiciaire est dans l’interdiction « se prononcer sur la régularité de la décision de la commission de recours amiable, compte tenu de la nature administrative des décisions qu’elle rend » (V. toujours de la même Cour d’appel d’Amiens : Amiens, 19 mai 2020, n° 19/01770 – 29 juin 2017, n° 15/02709, n° 15/02707 – 6 février 2023. RG n° 21/02815 et 21/02816 ; 30 mars 2023. RG n° 21/00403).
En effet, à partir du moment où la décision de la CRA s’est substituée à la mise en demeure, il appartient au juge de se prononcer uniquement sur cette première décision.
Non seulement cette dernière position serait conforme au droit mais, elle permettrait de mettre fin à des situations pratiques sans issue. Ainsi, lorsqu’une CRA donne partiellement gain de cause au cotisant sur un point précis, c’est ce nouveau chiffrage qui est retenu lors du contentieux judiciaire. Le juge judiciaire considère donc parfois que le contenu de la décision de la CRA se substitue à la mise en demeure…Il serait donc nécessaire d’aller jusqu’au bout de cette logique et de considérer que la décision prise sur recours se substitue à la mise en demeure et ce, même lorsque ce recours est rejeté.
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA