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Lorsqu’une société a contesté devant la commission de recours amiable la totalité des redressements dont elle avait fait l’objet, il importe peu que cette contestation n’ait été motivée que sur l’un des chefs du redressement et en cas de rejet de la réclamation, la voie du recours contentieux lui est ouverte pour les autres (Rennes. 9ème Ch Sécurité Sociale. 22 mars 2023. RG n° 19/05405)
Selon l’article R. 142-1 du code de la sécurité sociale, les réclamations formées contre les décisions prises par les organismes de Sécurité sociale sont soumises à une commission de recours amiable composée et constituée au sein du conseil d’administration de chaque organisme. Il s’agit pratiquement d’un « recours préalable » (CSS art L 142-4) au même titre que le « recours administratif préalable obligatoire » (RAPO) en matière administrative.
La CRA : une étape obligatoire…
Le cotisant, qui souhaite contester le redressement opéré par l’URSSAF, doit donc préalablement saisir la commission de recours amiable. Il s’agit là d’une disposition d’ordre public, ainsi que le confirme une jurisprudence constante (Paris. Pôle 6 – Chambre 12. 30 mars 2018 RG n°14/09633).
Pratiquement, cette commission n’est pas une juridiction (Cass. civ. 8 janvier 1964. Bull. civ. II, n° 34 – 8 juin 1977. Bull. civ. V. n° 389). Elle n’est qu’une émanation du conseil d’administration de chaque organisme de Sécurité sociale. Elle a une composition paritaire et comprend deux administrateurs de la caisse appartenant à la même catégorie que le réclamant et deux autres choisis parmi les autres catégories, désignés au début de chaque année par le conseil d’administration de la caisse. Qui plus est, on relèvera que l’absence d’indépendance de la CRA vis-à-vis des organismes de Sécurité sociale ne méconnaît pas les dispositions de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à un procès impartial et équitable puisqu’il ne s’agit pas d’une juridiction à proprement parler (Cass. soc. 12 juillet 2001. pourvoi n° 00-10219).Enfin, la nullité de la composition de la commission de recours amiable et de ses décisions est sans incidence sur la validité de ces saisines. En effet, la société peut toujours contester le contrôle effectué par l’URSSAF devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, dont les décisions sont susceptibles de recours. Elle peut aussi soumettre ses moyens de contestation de façon contradictoire devant le juge (Paris. pôle 6, chambre 12. 22 février 2018 RG n° 15/11905,15/11908, 15/12876)
La commission de l’organisme qui a pris la décision doit être saisie dans le délai de deux mois à compter de la mise en demeure (CSS art R. 142-1). Le point de départ est donc la notification du document.
L’importance de la motivation
On ne saurait jamais trop insister sur l’importance de la motivation de ce recours. En effet, le motiver trop précisément risque de condamner le cotisant à ne plus pouvoir invoquer d’autres points dans la suite du contentieux. Le motiver sur des points sensibles ayant trait à des aspects de procédure pourraient entraîner une régularisation de l’organisme.
Tout est donc une question de dosage entre ce qu’il faut dire et ne pas dire…
De l’analyse de la jurisprudence, on peut détacher les idées suivantes :
▪ Si le cotisant n’a pas motivé sa réclamation devant la commission de recours amiable, cette situation ne fait pas obstacle à la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale (Cass civ.2°. 13 février 2014. pourvoi n° 13-12329 – Versailles. Chambre 5. 20 décembre 2012. RG n° 11/03068)
▪ Si le cotisant a contesté, devant la commission de recours amiable, la totalité du redressement, celui-ci est fondé à contester l’ensemble des éléments même non motivés dans la requête initiale devant la commission de recours amiable (Cass soc. 25 janvier 1989 pourvoi n° 86-11940 – Cass civ.2°. 13 février 2014, pourvoi n°13-12.329 – 7 mai 2015 pourvoi n° 14-14914 – 9 février 2017, pourvoi n°16-22.242 V. également : Riom. Quatrième chambre civile (sociale).15 mai 2018. RG n° 17/01721 – Aix-en-Provence. Chambre 14. 29 avril 2016. RG n° 14/17349)
▪ Si le cotisant a limité son recours à un ou plusieurs chefs de redressement, il ne pourra plus contester les autres points de redressement devant la juridiction contentieuse (Cass soc. 29 mars 2001. pourvoi n° 99-17912 – Cass civ. 2°.16 novembre 2004 pourvoi n° 03-30426 V. également : Caen. 2° Chambre sociale. 27 septembre 2013. RG n° 11/03546 : la société avait limité sa contestation à deux chefs de redressement relatifs aux chèques-cadeaux et à la réduction Fillon ; le défaut de remise de la charte du cotisant contrôlé, moyen nouveau soulevé devant le tribunal devait donc être déclaré irrecevable – Cayenne, Chambre sociale, 3 mai 2019, RG n° 18/00427)
▪ Si le cotisant fait valoir une disposition d’ordre public, il n’est pas lié par la motivation qu’il formule devant ladite commission (Pau Chambre sociale 29 novembre 2018 RG n° 17/00811 : non-respect de la procédure contradictoire suite à renseignements demandés auprès de la DIRECCTE)
▪ Si le cotisant vise les fondements de la contestation et non la contestation elle-même, toute nouvelle motivation est recevable (Pau. Chambre sociale. 19 mars 2015. RG n° 15/01121, 13/01459 : nullité de l’avis de contrôle et des mises en demeure – Paris. Pôle 6, chambre 12. 15 mars 2012. RG n° 10/01590 : demande de nullité d’une taxation forfaitaire – Cass. soc. 8 juin 1995. pourvoi n° 93-17120)
▪ Enfin, si le cotisant a soulevé des demandes devant la commission de recours amiable, les demandes connexes ou qui découlent de la demande principale peuvent effectivement être présentées devant les juridictions sans que l’on puisse lui opposer une irrecevabilité pour demandes nouvelles (Riom, Quatrième chambre civile (sociale). 25 juin 2018, RG n° 17/01190 : dès lors que le cotisant a soulevé l’irrégularité de la procédure de contrôle, il est fondé à invoquer de nouveaux arguments devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ayant trait à cette demande)
A ce stade du contentieux, il est donc souhaitable de prévoir une saisine très large par des phrases du type :
« Je conteste l’ensemble des redressements opérés et la mise en demeure subséquente, notamment pour les motifs suivants : …
Pour ces motifs, je vous saurais gré de noter que je conteste la totalité du redressement et vous saurais gré de revoir votre position »
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA