5 minutes de lecture
Dès lors qu’une mise en demeure comporte les mentions de nature à permette au cotisant de connaître la cause, la nature et l’étendue de son obligation, elle est régulière et ne peut donner lieu à annulation (Orléans. Chambre des affaires de sécurité sociale. 31 janvier 2023. RG n° 21-01590)
Etrange décision que celle rendue par la Cour d’Orléans le 31 janvier 2023. Suite à un contrôle diligenté par l’URSSAF, une société avait reçu deux mises en demeure :
▪ la première du 7 octobre 2019 qui mentionnait le motif du recouvrement (« Contrôle. Chefs de redressement notifiés par lettre d’observations du 19/07/19), la nature des cotisations (« régime général ») et le montant des cotisations dues
▪ la deuxième du 23 octobre 2019 qui mentionnait le motif du recouvrement (« Absence de versement »), la nature des cotisations (« régime général ») et le montant des cotisations dues avec la mention « incluses contributions d’assurance chômage, cotisations AGS » figurant sous un astérisque
En l’absence de paiement, l’URSSAF avait émis une contrainte à laquelle la société avait formé opposition.
La société remettait en cause la validité des mises en demeure en soutenant que le contenu des deux documents était imprécis et insuffisant (« régime général » pour la nature des cotisations et mention : « incluses contributions d’assurance chômage, cotisations AGS » alors que la mention relative aux cotisations AGS ne se réfère qu’à certaines cotisations et non à non à l’ensemble des cotisations recouvrées).
Ce raisonnement est censuré par la Cour d’appel qui valide les deux mises en demeure.
Rappelons, s’il en était encore besoin que :
→ suivant l’arrêt dit Deperne, « la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation; qu’à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » (Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682). On notera cette position très ferme de la chambre sociale suivant laquelle ce formalisme doit être respecté « à peine de nullité », « sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ». Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 a inscrit dans l’article R 244-1 alinéa 1, les obligations de l’arrêt « Deperne »
→ la nature de l’obligation renvoie à ses caractéristiques. Bien qu’aucune définition ne soit donnée de cette notion, on pourrait considérer qu’il s’agit de la « nature des dettes du cotisant » (D.Rigaud. Droit et pratique du contrôle URSSAF. Ed Liaisons. 2003. p 166)
→ « le contenu de l’avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé… » (CSS art L 244-2 al 2)
Or, en l’espèce, il parait pour le moins audacieux de valider des mises en demeure avec la mention « régime général » dans le cartouche « Nature des cotisations », dès lors que certaines sommes redressées ne font pas partie du « régime général », ce qui est constaté dans la plupart des redressements. Remémorons en effet que ledit régime général est défini à l’article L 200-1 du Code de la sécurité sociale et couvre un certain nombre de risques : maladie, vieillesse, prestations familiales, protection universelle maladie, autonomie… ce qui n’est pas le cas de certaines sommes souvent redressées lors des contrôles, comme la contribution FNAL, certes recouvrée par l’URSSAF, mais qui constitue un impôt (décision du 18 décembre 2014 n° 2014-706 DC) ou de la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 qui est également considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt (décision 90-285 DC du 28 décembre 1990, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000). Il s’agit donc là d’informations inexactes délivrées par l’organisme de recouvrement au cotisant.
De même, il semble téméraire de valider une mise en demeure où apparait la mention, à la rubrique des cotisations, « incluses contributions d’assurance chômage, cotisations AGS », alors que la contribution d’assurance chômage et l’AGS ne font partie du Régime Général. Certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d’assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009). Mais cela ne vaut que pour le recouvrement des sommes…
→ Le fait que le cartouche inexact de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations, n’est ici strictement d’aucun secours pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées qui est inexacte, imprécis….(V. en ce sens : Tribunal Judiciaire de Lille, Pôle social, 12 juill. 2022, RG no 20/01497, Tribunal Judiciaire de Besançon, Pôle social, 13 juin 2022, RG no 21/00191, Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 23 sept. 2022, RG no 21/07818)
En effet, la référence aux observations ne saurait compléter utilement une mise en demeure insuffisamment motivée, que si la mention relative à la nature des cotisations est elle-même exacte (V. en ce sens : V. Cass soc. 25 mars 1999. pourvoi n° 97-14283, Cass civ.2°. 21 juin 2018. pourvoi n° 17-16560). Ce qui n’est guère le cas lorsque le cartouche relatif à la nature des cotisations est incomplet ou encore faux. En d’autres termes, on peut admettre que la mention « régime général », complétée par la référence aux observations, se révèle suffisante lorsque les sommes concernées ne concernent que le régime général. A contrario, la référence aux observations ne saurait compléter une mise en demeure déficiente, comme cela était le cas en l’espèce
Au milieu d’un droit qui accorde aux URSSAF des pouvoirs exorbitants lors des contrôles URSSAF, il est une garantie des cotisants qui ne saurait être discutée : celle de son droit à être précisément informé du motif des sommes réclamées.
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA