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La poursuite par l’URSSAF des opérations de contrôle au-delà de la durée de 270 jours prévue par la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (art 32 de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018) est constitutive d’une irrégularité qui doit être sanctionnée par l’annulation de la procédure de contrôle, du redressement opéré et de la mise en demeure subséquente (TJ d’Arras. Pôle social. 13 avril 2023. RG n° 21/00062)
Ce jugement est à verser au dossier de la durée d’un contrôle URSSAF.
Rappelons l’existence de deux systèmes.
▪ L’article L 243-13 du Code de la sécurité sociale limite les contrôles pour les entreprises de moins de vingt salariés à trois mois, comprise entre le début effectif du contrôle et la lettre d’observations (sauf notamment, cas de travail dissimulé, d’obstacle à contrôle, d’abus de droit, de constat de comptabilité insuffisante ou de documentation soit inexploitable, soit transmise ou remise plus de quinze jours après la réception de la demande faite par l’agent chargé du contrôle, de report, à la demande de la personne contrôlée, d’une visite de l’agent chargé du contrôle…). En outre, cette période de trois mois peut être prorogée une fois à la demande expresse de la personne contrôlée ou de l’organisme de recouvrement.
Remémorons qu’en dehors de cette hypothèse, le Code de la Sécurité sociale ne fixe pas de limite quant à la durée du contrôle (Cass. 2e civ. 28 mai 2015. pourvoi n° 14-17618, 5 novembre 2015. pourvoi n° 14- 23281).
▪ Dans le cadre de la loi pour un Etat au service d’une société de confiance (loi n° 2018-727 du 10 août 2018 art 32, décret n° 2018-1019 du 21 novembre 2018 ) il avait été relevé que les entreprises étaient soumises à une multiplicité de contrôles, que cette succession de vérifications (notamment URSSAF, concurrence, consommation et répression des fraudes, contrôles fiscaux ou douaniers, etc.) pouvait représenter une charge significative et qu’il convenait donc de limiter dans le temps cette durée des contrôles … La loi avait donc instauré dans deux régions (Hauts de France et Auvergne-Rhône-Alpes) une limitation de la durée cumulée des contrôles administratifs (c’est-à-dire des administrations de l’Etat, collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d’une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale) dans les petites et moyennes entreprises (soit les entreprises de moins de deux cent cinquante salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros) fixée à 9 mois sur une période de trois ans (la durée de ce contrôle ayant pour point de départ la date de la première visite sur place ou la date de réception de la première demande de renseignements ou de documents ; en l’absence de notification de l’achèvement du contrôle, le contrôle était réputé prendre fin au jour où l’entreprise recevait les conclusions définitives de ce contrôle – On notera également que cette limitation de durée n’était pas opposable s’il existait des indices précis et concordants de manquement à une obligation légale ou réglementaire). En outre, au terme de chaque vérification devait être remis une attestation mentionnant le champ et la durée de celui-ci. Toutefois, il ne s’agissait que d’une expérimentation pour une durée de 4 ans à compter du 1er décembre 2018…
En l’espèce, une entreprise de la région Hauts de France avait été contrôlée par l’URSSAF et il s’était écoulé un délai de 292 jours entre le 20 décembre 2018, date de la première visite de l’inspecteur du recouvrement et le 7 octobre 2019, date à laquelle la société avait reçu les conclusions définitives du contrôle par le biais de la lettre d’observations. Pour le Tribunal, la poursuite par l’URSSAF des opérations de contrôle au-delà de la durée de 270 jours était constitutive d’une irrégularité qui devait être sanctionnée par l’annulation de la procédure de contrôle, du redressement opéré et de la mise en demeure subséquente.
Cette décision requiert plusieurs observations :
D’abord, l’URSSAF soutenait que la référence à la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 était une erreur, puisque le texte n’était applicable que pour les contrôles effectués par les administrations des régions Haut de France et Auvergne Rhône Alpes à compter du 1° décembre 2018, alors que dans le cas présent, la vérification avait commencé le 20 décembre 2018. C’est toutefois oublier que quand l’URSSAF prend une décision en faveur du cotisant, elle s’engage…. Ainsi, la Cour d’appel de Grenoble a-t-elle décidé que, dès lors que l’URSSAF a expressément visé les dispositions de l’article L 243-13 du code de la sécurité sociale limitant la durée de contrôle exercé sur les entreprises versant des rémunérations à moins de dix salariés, elle a reconnu au cotisant le bénéfice de ces dispositions même si l’entreprise compte 22 salariés (Grenoble, Chambre sociale – protection sociale, 17 septembre 2020, RG n° 18/02457). De même, pour les juges du fond, dès lors que l’avis de contrôle mentionne que la vérification porte sur cotisations exigibles à compter du 1er janvier 2008, c’est à tort que l’URSSAF reprend une somme au titre de l’année 2007 (Grenoble, Chambre sociale protection sociale, 15 juin 2021, RG n° 19/00121). Également, si l’URSSAF accorde au cotisant un délai de réponse supplémentaire à une lettre d’observations et ne le respecte pas, la mise en demeure envoyée prématurément est nulle (Amiens. Ch. soc. 5. Cabinet A. 30 juin 2015. RG n° 13/02622). En résumé, l’organisme est tenu par son engagement, qu’il n’a pas l’obligation de prendre …
Ensuite, on pouvait s’interroger sur le non-respect de ce plafond ? Simple affichage ou nullité du contrôle ? On sait que dans le cadre du délai de 3 mois, s’agissant des entreprises de moins de 20 salariés, la jurisprudence considère qu’en l’absence de respect de ces règles, c’est tout le redressement qui est irrégulier (Amiens. 2° protection sociale. 7 novembre 2022. RG n° 20/00334). La solution est ici identique.
Enfin, on peut déplorer que l’expérience prévue par l’article 32 de la loi n° 2018-727, aujourd’hui passée aux oubliettes, n’ait pas été reprise suite à la crise sanitaire (V. Réponse Decool. Sénat . 29 juillet 2021.p 4727). Car, contrairement à ce qui est fréquemment affirmé (ainsi, dans le cadre de l’étude d’impact pour la loi n° 2018-727, il est mentionné que « pour les URSSAF, la durée des contrôles sur place peut varier en moyenne d’un jour pour une entreprise de moins de trois salariés à soixante jours environ pour les entreprises de plus de deux mille salariés » – mais on sait très bien, comme le disait le Général de Gaulle que « les statistiques c’est comme la mini-jupe, ça donne des idées mais ça cache l’essentiel ! »), certains contrôles d’assiette de cotisations peuvent se prolonger et instaurer des garde fous n’est pas inutile ! La preuve ! Et justement, le rôle de la loi n’est-il pas de prévenir toute dérive ?
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA