Le point sur la solidarité financière…

Publié le 10 octobre 2022

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Un article de Maître François Taquet, professeur de Droit social, rédacteur d’amendements sur les projets de loi en matière sociale à l’Assemblée Nationale, au Sénat et au Parlement européen.

Rappelons que le donneur d’ordre est tenu de vérifier, par le biais d’une attestation de vigilance et lors de la conclusion d’un contrat portant sur une obligation d’une certaine valeur (5 000 € HT, C trav art R 8222-1), puis tous les 6 mois jusqu’à la fin de son exécution, que son cocontractant s’acquitte, entre autres obligations, de celles relatives à la déclaration et au paiement des cotisations à l’égard de l’URSSAF (CSS art L 243-15, C trav arts L 8222-1 et D 8222-5).

À défaut de procéder à ces vérifications et si le sous-traitant a eu recours au travail dissimulé, le donneur d’ordre peut être poursuivi pénalement et devoir régler solidairement les cotisations sociales du sous-traitant. Il peut également perdre le bénéfice des exonérations et réductions de cotisations applicables à ses salariés sur toute la période où le délit de travail dissimulé du sous-traitant aura été constaté dans la limite de 75 000 €. (V. C trav art L 8222-2, CSS art L 133-4-5, circulaire interministérielle n° DSS/SD5C/2012/186 du 16 novembre 2012 relative à l’attestation de vigilance). Qui plus est, le donneur d’ordre se verra lui-même retirer l’attestation de vigilance (CSS art D 243-15). Il s’agit ici pour le moins d’une procédure d’une grande violence économique, susceptible de frapper beaucoup d’employeurs de bonne foi…

Selon l’article L 8222-3, les sommes dont le paiement est exigible en application de l’article L. 8222-2 sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession

Ainsi que l’avait résumé la Cour d’appel d’Aix en Provence, la mise en œuvre de la solidarité financière impose la réunion de trois conditions cumulatives : le constat par procès-verbal d’une infraction de travail dissimulé ; l’existence de relations contractuelles entre le donneur d’ordre et l’auteur du travail dissimulé ; le montant de la prestation, qui doit être égal ou supérieur au seuil prévu par l’article R.8222-1 du Code du travail ; si l’une de ces trois conditions n’est pas respectée, la solidarité ne peut être mise en œuvre (Aix-en-Provence 14e Chambre 14 novembre 2018 RG  n° 17/18711

Si la mise en œuvre de la solidarité financière du donneur d’ordre n’est pas subordonnée à la communication préalable à ce dernier du procès-verbal pour délit de travail dissimulé, établi à l’encontre du cocontractant, l’organisme de recouvrement est tenu de produire ce procès-verbal devant la juridiction de sécurité sociale en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document (Cass civ.2°. 8 avril 2021. pourvoi n°19-23728 et 20-11126). Cette décision avait déjà été initiée par un arrêt de la Cour de Nancy du 12 novembre 2019 ainsi rédigé : « Mais attendu que l’absence de production par l’organisme de recouvrement du procès-verbal de travail dissimulé qui sert le fondement à la mise en œuvre de la solidarité du donneur d’ordre constitue, selon l’URSSAF elle-même, le fait générateur de celle-ci, en tant que cette absence ne met pas ce dernier en mesure de discuter tant la régularité de la procédure, que le bien-fondé de l’exigibilité des taxes (…) » (Nancy, Chambre sociale – section 1, 12 novembre 2019, RG n° 19/00054). On soulignera que dans les arrêts du 8 avril 2021, la Cour de cassation rappelle entre autres :

▪ Qu’aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

▪ Que par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu.

Encore fallait il interpréter la notion « de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document ». Sur ce point, la Cour d’Aix en Provence a décidé que le seul fait de soulever le défaut de production par l’URSSAF des procès-verbaux de constat de travail dissimulé devant les premiers juges équivaut à la contestation de son existence ou de son contenu. Ainsi, en l’absence de production de ces procès-verbaux, l’Urssaf n’est pas fondée à mettre en œuvre la solidarité financière et les conséquences en découlant telles que figurant à sa lettre d’observation et ayant donné lieu à mise en demeure puis contrainte (Aix-en-Provence 12 novembre 2021 RG no 20/11422)

Dans la droite ligne de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 31 juillet 2015, la Cour de cassation vient de statuer « que le donneur d’ordre peut invoquer, à l’appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l’encontre de son cocontractant du chef du travail dissimulé » (Cass civ.20.  23 juin 2022, pourvoi n° 20-22128). En conséquence, le donneur d’ordre a tout intérêt à réclamer le procès-verbal ainsi que les pièces de la procédure et ce, dès la réponse à la lettre d’observations. Ce qui obligera l’organisme à fournir les documents au stade de la procédure contradictoire.  Avec une question supplémentaire : le procès-verbal produit non au stade de la procédure contradictoire mais devant le tribunal serait-il suffisant pour valider la procédure. A notre avis, cette situation poserait deux problèmes. D’abord, on peut se demander si cette production tardive respecterait ladite procédure contradictoire puisque le cotisant n’a pas été à même d’analyser et de discuter du document avant tout contentieux. Qui plus est, soutenir une telle idée serait pour le moins inique. En effet, la jurisprudence décide, dans le cadre du contrôle, que faute d’avoir produit les pièces justificatives pendant la période de contrôle, le cotisant ne peut plus en faire état devant les juridictions de la sécurité sociale en cas de contentieux (V. Cass civ.2°. 19 décembre 2019 pourvoi n° 18-22912 – V. dans le même sens : Cass civ. 2°.  27 novembre 2014. pourvoi n° 13-23320, 24 novembre 2016. pourvoi n° 15-20493). En d’autres termes, la jurisprudence interdit qu’un employeur puisse faire état au stade du contentieux de pièces justificatives existantes à la date du contrôle mais non exploitables en l’état et donc non produites au moment de celui-ci, privant ainsi le cotisant de la possibilité de se défendre. Toujours en d’autres termes, cela reviendrait à dire que si l’on permettait à l’URSSAF de produire des documents hors de la période contradictoire, et en interdisant cette même faculté au cotisant, on créerait un système de « deux poids deux mesures », totalement inexplicable et injuste…