16 minutes de lecture
Depuis plus d’un an et demi, les populations du monde entier se battent contre la pandémie dû à la Covid-19. Ce virus nous a obligé à se mettre en suspend pendant le premier trimestre de l’année 2020, et à continuer d’avancer prudemment. Depuis le début de l’année 2021, la campagne de vaccination sonne comme une note d’espoir pour les populations de reprendre un rythme de vie « normal ».
Malgré tout, les gouvernements européens restent méfiants. Pour mettre fin à la propagation du virus dans le monde, les politiciens ont décidé de mettre en place un pass sanitaire.
Le 21 décembre 2020, cette idée a été déposée comme projet à l’Assemblée nationale. Ce projet prévoyait de « subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transports ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités à la présentation des résultats d’un test de dépistage « négatif » ou « au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif ».
Plusieurs projets sont nés et parmi eux, une distinction s’impose entre le projet de passeport vaccinal et celui du pass sanitaire.
Distinction entre passeport vaccinal et pass sanitaire
Avant toute chose, il est essentiel de bien préciser les contours des deux projets qui sont en préparation.
La Commission européenne travaille actuellement sur l’établissement d’un certificat qui serait déployé dans chacun des 27 états membres, pour faciliter les déplacements des voyageurs. D’un point de vue juridique, le terme de « passeport vaccinal » est controversé. En effet, juridiquement, le passeport certifie l’identité et la nationalité d’un citoyen. Il est donc nécessaire de différencier cette notion à la notion de carnet de vaccination. Le passeport vaccinal doit servir d’attestation de vaccination contre la Covid-19 et permettre d’accéder à certains lieux publics et surtout, de voyager s’il est reconnu à l’international. La mise en place du passeport vaccinal, contestée, n’est cependant pas encore actée.
L’UE a pour projet de lancer de son coté un pass sanitaire européen qui est en test à Malte et en France. Les deux pays testent l’interopérabilité du système développé par T-Systems et SAP en se connectant à la passerelle européenne. 18 pays de l’UE vont participer à la phase pilote qui durera deux semaines ainsi que l’Islande. Ce pass européen devrait pouvoir être mis en œuvre à partir du 1er juin. Un QR code au sein de l’application permettrait aux policiers en charge du contrôle des frontières de vérifier la validité des tests, vaccinations… Les états membres pourront soit intégrer ce pass dans l’application de traçage nationale soit dans une application / solution différente.
L’Europe a donc décidé de passer outre les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé. En effet, quelque temps plus tôt, l’OMS a indiqué ne pas être favorable au passeport vaccinal des voyageurs internationaux. Les experts de l’OMS rappellent que « les preuves sont limitées concernant la performance des vaccins sur la réduction de la transmission et étant donné l’inégalité persistante en matière de distribution des vaccins ».
« Les Etats parties sont vivement encouragés à reconnaitre que l’exigence d’une preuve de vaccination peut aggraver les inégalités et favoriser une liberté de circulation différenciée » rappelle l’OMS dans son communiqué d’avril suite à la réunion de son 7ème comité sur le Covid-19.
Le pass sanitaire, quant à lui, aussi appelé certificat sanitaire européen, sera utilisé pour accéder à des rassemblements et événements de grande ampleur. Ce pass est limité au territoire national et entrera en vigueur le 9 juin prochain.
A la différence du passeport vaccinal, il est également envisagé que le pass sanitaire contienne le résultat négatif d’un test PCR ou antigénique négatif, un éventuel certificat de rétablissement du Covid-19 ou un certificat de vaccination.
Le passeport sanitaire sera vraisemblablement utilisé via l’application TousAntiCovid. Pour accéder aux grands événements, les personnes devront justifier d’un test négatif, d’un certificat de vaccination ou d’une attestation de rétablissement après contamination. Dans le domaine des voyages, il devrait servir à passer les frontières. Air France et Air Corsica testent ce passeport sanitaire intégré à l’application depuis le mois d’avril.
Un risque limité pour les libertés individuelles
Vu comme une solution pour sortir de l’épidémie mondiale, la validation de ce pass sanitaire permet d’apaiser certains réfractaires au passeport vaccinal. En effet, lors du dépôt du projet de loi, citoyens français et politiques mettaient en avant la forte possibilité que la loi pourrait très vite méconnaitre des textes hiérarchiquement supérieurs à elle tel que les conventions internationales et la Constitution. Concrètement, l’instauration d’un tel dispositif dans notre droit conduirait à une obligation de détenir un document officiel attestant de la réalisation d’un vaccin contre le Covid-19.
La liberté constitue le premier principe de la devise républicaine « Liberté, Egalité, Fraternité ». Droit fondamental de la personne, elle est multiple tel que la liberté d’aller et venir. C’est l’Etat qui protège les libertés publiques, et dans le même temps, il pose les limites pour que la liberté des uns n’entrave pas celle des autres. Néanmoins, tant que l’intégralité de la population française n’aura pas été vaccinée, une partie des citoyens ne pourra pas prouver son statut sanitaire, et ses libertés se verront restreintes. En d’autres termes, les actes quotidiens de la vie vont requérir le vaccin, si bien qu’en réalité, il sera obligatoire sans le dire. Parmi ces effets indirects du dispositif de la loi, nous pouvons citer le fait que le citoyen non vacciné ne pourra pas faire valoir sa liberté d’aller et venir à sa guise, cette dernière conditionnée à l’obtention d’un document officiel de vaccination.
Le deuxième effet indirect serait une altération directe du principe d’égalité. En France, ce principe a une valeur constitutionnelle. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que « la loi doit être la même pour tous ». En conséquence, les personnes se trouvant dans une même situation doivent être traitées de manière identique.
En droit international, l’approche diffère et recherche davantage le droit à la non-discrimination. La convention européenne des Droits de l’Homme, dans son article 14, dispose que « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, politiques fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, il y a discrimination lorsqu’une personne est, sans justification objective et raisonnable, traitée moins favorablement qu’une autre personne placée dans une situation analogue.
Suite à la mise en œuvre du passeport vaccinal sur le territoire européen, un élément de la santé des individus conduirait à une exclusion sociale d’une partie entre eux. Les citoyens vaccinés seraient alors distingués des citoyens n’ayant pas reçu leur dose de vaccin. En d’autres termes, le principe du passeport vaccinal pourrait être considéré comme une légalisation d’une discrimination pour motif de santé.
Cinq mois après le dépôt de projet de loi, ce dernier a été voté le 11 mai dernier à l’Assemblée nationale. Malgré une session houleuse, la France a fait le choix d’opter pour l’instauration d’un passeport sanitaire, qui restreindra moins les libertés individuelles des citoyens. Celui-ci permettra l’accès aux grands rassemblements ou à certains lieux lorsqu’ils rassemblent plus de 1000 personnes, même si ce chiffre n’est pas encore fixé dans le projet de loi. Pour éviter l’obligation de vaccination, le passeport sanitaire propose deux autres alternatives, en présentant un test PCR négatif de moins de 48h ou un certificat de rétablissement du virus de moins de 2 mois.
Un risque pour les données personnelles des citoyens européens
Le comité européen de la protection des données et le Contrôleur européen de la protection des données, deux organes de l’Union européenne, insiste sur le fait que le passeport vaccinal européen devra être nécessaire et équilibré en termes de respect de la vie privée.
Les deux organes de l’UE montrent leur hostilité à l’utilisation des données du passeport vaccinal pour créer une base géante centralisée des informations des utilisateurs. Certains pays européens très dépendants du tourisme, tel que la Grèce, l’Espagne ou encore le Portugal, comptent sur le passeport vaccinal pour relancer les voyages à l’international et sauver leur saison estivale, après un été 2020 très en demi-teinte. Andrea Jelinek, responsable du Comité européen de la protection des données (EDPB en anglais), a déclaré que « toute mesure adoptée au niveau national ou européen impliquant le traitement de données à caractère personnel doit respecter les principes généraux d’efficacité, de besoin et d’équilibre ». Cela permettra aux individus, dont les données personnelles sont affectées, d’avoir des garanties suffisantes pour être protégés, de manière efficace, contre le risque de discrimination potentielle.
Les deux organes européens recommandent que toute utilisation ultérieure du certificat numérique par les Etats membres repose sur une base juridique appropriée dans les Etats membres et que toutes les garanties nécessaires doivent être mises en place. Le directeur du contrôleur européen de la protection des données (EDPS en anglais), Wojciech Wiewiorowski, a ainsi précisé que cette proposition « ne permet pas – et ne doit pas conduire à – la création d’une quelconque base de données centrale de données à caractère personnel au niveau de l’UE. En outre, il faut s’assurer que les données personnelles ne sont pas traitées plus longtemps que ce qui est strictement nécessaire et que l’accès et l’utilisation de ces données ne sont pas autorisés une fois que la pandémie terminée ».
Il souligne le fait que les mesures prises dans la lutte contre le Covid-19 sont temporaires et que son devoir est de veiller à ce qu’elles ne soient pas là pour rester après la crise.
Leur avis conjoint comprend des recommandations spécifiques visant à clarifier davantage les catégories de données concernées par la proposition, le stockage des données, les obligations de transparence et l’identification des responsables de traitement et des sous-traitants pour le traitement des données à caractère personnel.
Une réflexion trop courte selon l’avis de la CNIL
« Un tel dispositif, inédit depuis l’intervention de la loi informatique et libertés (depuis 78), aurait mérité un temps de réflexion plus long », souligne la Commission Nationale de l’information et des libertés en notant que le principe d’un pass sanitaire est évoqué en France et en Europe « de longue date ». Saisie en urgence le 04 mai seulement par le secrétaire d’Etat chargé du numérique et le ministre des Solidarités et de la Santé, la CNIL n’a pu rendre son avis qu’au lendemain de l’adoption du projet de loi de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, votée le 12 mai dernier.
L’institution a rendu un avis émettant des réserves quant à ce dernier. Dans son communiqué, la Commission « demande que la loi soit précisée et des garanties supplémentaires apportées ». Ce pour éviter que des professionnels non concernés puissent « conditionner, de leur propre initiative, l’accès » à certains lieux à la présentation d’un pass sanitaire.
Le gardien de la liberté numérique appuie sur le caractère temporaire du pass sanitaire qui « ne saurait en aucun cas être maintenu au-delà de la crise sanitaire ». Pour le garantir, la CNIL demande que l’impact du dispositif soit régulièrement rapporté, à intervalle régulier et à partir de données objectives. A l’avenir, le maintien du pass serait décidé sur cette base.
La CNIL a donc formulé plusieurs recommandations. La commission s’attarde sur les lieux d’utilisation du dispositif et souhaite restreindre son usage. Le gouvernement précise que les manifestations, les réunions politiques ou syndicales, les rassemblements religieux serait concernés. Suite à cela, la CNIL « estime que ces limitations apportent des garanties de nature à minimiser les conséquences du dispositif sur les droits et libertés des personnes ». L’exécutif, par la suite, a précisé que les lieux de la vie quotidienne ne seraient pas concernés, comme le lieu de travail ou encore les restaurants.
La CNIL point du doigt l’absence de précision sur certains points comme le seuil de fréquentation simultanée minimal ou l’interdiction des lieux non concernés de demander de leur propre initiative la présentation du pass. De fait, sans ces détails, le texte de loi demeurait flou et donc soumis à une plus grande interprétation.
Elle demande, également, que les modalités concrètes sur la finalité, la conservation, la réutilisation et l’accessibilité des données soient précisées par la loi et le règlement. Une requête tout à fait en adéquation avec le Règlement Général sur la Protection des données. De plus, la commission propose de limiter les informations accessibles aux personnes vérifiant le pass avec l’instauration d’un code couleur rouge ou vert. Ainsi, la nature de l’immunité de la personne serait cachée.
D’autre part, la CNIL insiste sur le besoin d’intégrer des garanties pour limiter « la divulgation et la conservation d’informations privées et d’éviter tout risque de discrimination, en raison de l’état de santé mais également en raison de la capacité d’accès et d’usage des outils numériques ». Par conséquent, elle rappelle que des certificats papiers doivent également être instaurés.
Plus d’un an après le début de l’épidémie en France, la CNIL tient également à alerter sur le danger d’un « phénomène d’accoutumance préjudiciable » à de tels dispositifs technologiques. « La possibilité d’accéder aux lieux de sociabilité sans avoir à prouver son état de santé fait partie des garanties apportées à l’exercice des libertés » insiste la Commission, « et participe à dessiner une frontière raisonnable entre ce qui relève de la responsabilité individuelle et du contrôle social ». Rompre cette garantie, fait craindre à l’institution le risque que soit un jour « justifié, par exemple, que l’accès à un cinéma soit conditionné à la preuve que la personne n’est pas porteuse de certaines pathologies, autres que le Covid-19 ».
Le retour à une vie normale est ce que souhaite tous les citoyens français. Il faudra toutefois se garder des entailles qui pourraient être portées à certaines de nos libertés fondamentales, constitutionnellement garanties. La recherche d’un équilibre efficient entre sécurité juridique et sécurité sanitaire relève d’une absolue délicatesse, le risque étant celui d’un basculement de notre devise transformée, passant de « Liberté, Egalité, Fraternité » à « Liberté, Egalité, Vacciné ».
Article rédigé par Amandine Deliaune, juriste en conformité RGPD chez Juri’Predis.