La mise en demeure délivrée par une URSSAF doit être précise

Publié le 12 mai 2023

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Les mises en demeure notifiées par l’URSSAF à la société suite au contrôle portent les mentions suivantes : dans le cadre « motif de mise en recouvrement » : « contrôle. Chefs de redressement notifiés par lettre d’observations du 06/08/19. Article R 243.59 du code de la sécurité sociale », dans le cadre « nature des cotisations » : « régime général ». Les mises en demeure font expressément référence à la lettre d’observations. Néanmoins, les montants réclamés au titre du redressement ne portent pas exclusivement sur des cotisations du régime général, mais également sur le « versement transport », alors que les mises en demeure ne comportent aucune référence au versement transport. Dès lors, lesdits documents n’informent pas suffisamment le cotisant sur la nature des cotisations réclamées et doivent être annulées (Nancy. Chambre Sociale-1ère sect. 2 mai 2023. RG n° 22/00011)

D’abord instauré pour l’Île-de-France en 1971 (loi n° 71-559 du 12 juillet 1971), le versement transport a, dès 1973 (loi n° 73-640 du 11 juillet 1973), été étendu au reste du pays. Ce versement qui vise les entreprises d’au moins 11 salariés, est destiné au financement des transports en commun (Code général des collectivités territoriales arts L 2333-68 et D 2333-86). Pratiquement, il constitue un impôt entrant dans la catégorie des impositions de toutes natures (Conseil constitutionnel, 16 janvier 1991, n° 90-287 DC – Tribunal des conflits, 7 décembre 1998, n° 212336 – Cass soc. 10 décembre 1998, pourvoi n° 97-13628). Toutefois, si ce versement constitue un impôt, il résulte de l’article L. 2333-69 du Code général des collectivités territoriales que les organismes de recouvrement sont seuls compétents pour procéder aux opérations d’assiette et de recouvrement des dites sommes (Cass. civ. 2, 15 juin 2017, pourvoi n° 16-12510 – et logiquement, la restitution des sommes indûment versées par l’employeur incombe aux mêmes organismes de recouvrement : Cass. civ. 2, 15 juin 2017, pourvoi n° 16-12551). Si la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 appelle désormais ledit versement « versement au financement des services de mobilité », les principes sus mentionnés n’ont pas été modifiés.

Il résulte donc de ces constats que le contentieux du recouvrement est celui prévu par le Code de la sécurité sociale. Et la première étape en matière de contentieux est celle de la mise en demeure (CSS art R 244-1) qui constitue la décision de recouvrement (Cass civ 2ème 14 février 2019, pourvoi n°17-27759 – Besançon. Chambre sociale. 28 avril 2023. RG n° 22/01178). Or, ce document a les caractéristiques suivantes :

▪ Suivant l’arrêt dit Deperne, « la mise en demeure, qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation; qu’à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice » (Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682 – on mentionnera également que suivant l’article D 2531-15 du Code général des collectivités territoriales, la mise en demeure concernant ce versement « peut se borner à indiquer la nature des créances-cotisations de sécurité sociale et versement destiné au financement des services de mobilité-sans préciser leur montant respectif. Il en est de même pour les majorations de retard »). On notera cette position très ferme de la chambre sociale suivant laquelle ce formalisme doit être respecté « à peine de nullité », « sans que soit exigée la preuve d’un préjudice ». Le décret n° 2007-546 du 11 avril 2007 a inscrit dans l’article R 244-1 alinéa 1, les obligations de l’arrêt « Deperne » 

▪ La nature de l’obligation renvoie à ses caractéristiques. Bien qu’aucune définition ne soit donnée de cette notion, on pourrait considérer qu’il s’agit de la « nature des dettes du cotisant » (D.Rigaud. Droit et pratique du contrôle URSSAF. Ed Liaisons. 2003. p 166)

▪ On notera également que « le contenu de l’avertissement ou de la mise en demeure mentionnés au premier alinéa doit être précis et motivé… »  (CSS art L 244-2 al 2)

Or, en l’espèce, la mention « Nature des cotisations : régime général », composée de cinq mots, comportait des inexactitudes, puisque la mise en demeure portait également sur le « versement transport », alors que le document ne mentionnait aucune référence à ce prélèvement.

Rappelons que le régime général est défini à l’article L 200-1 du Code de la sécurité sociale et couvre un certain nombre de risques : maladie, vieillesse, prestations familiales, protection universelle maladie, autonomie… En aucune manière, le versement transport ne fait partie de ce risque, sachant en outre qu’il s’agit non de cotisations mais d’impôts. Il en résulte donc logiquement que la mise en demeure imprécise voire inexacte devait être annulée (V. Cass civ. 2.  14 février 2019 pourvoi n° 18-10238).

En allant plus loin dans notre raisonnement, il semble évident que les mentions générales sur la mise en demeure : « Nature des cotisations : régime général », doivent de la même manière rendre nul ce document dès lors qu’il comporte des contributions d’assurance chômage et l’AGS qui ne font partie du Régine Général (certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d’assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009). Mais cela ne vaut que pour le recouvrement des sommes…)  (Tribunal Judiciaire de Besançon. Pôle social. 13 juin 2022. RG n° 21/00191 – Aix-en-Provence. Chambre 4-8. 9 décembre 2022. RG n° 21/08307 21/08204)

De même devrait être considérée comme nulle une mise en demeure qui cible des cotisations du régime général alors que la lettre d’observations vise des contributions FNAL, puisque ces sommes sont recouvrées par les URSSAF mais ne constituent pas pour autant des cotisations du « régime général » (rappelons ainsi que la contribution FNAL constitue un impôt : décision du 18 décembre 2014 n° 2014-706 DC). Il en serait de même de la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 qui est considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt (décision 90-285 DC du 28 décembre 1990, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000) (V en ce sens pour une nullité de mise en demeure : Tribunal Judiciaire de Lille. Pôle social. 12 juillet 2022. RG n° 20/01497 – dans le même sens : V une mise en demeure qui omet de viser la contribution VTM (véhicules terrestres à moteur) pourtant évoquée par la lettre d’observations. Ce document ne permettait donc pas au cotisant de connaitre la nature exacte des sommes exigées : Rennes. 9° chambre sociale. 29 juin 2022. RG n°19/02909 – V. F Taquet. Mise en demeure dans le cadre d’un contrôle Urssaf : vers un nouvel équilibre de la jurisprudence ? Jurisprudence Sociale Lamy, nº 557, 6 février 2023)

Le fait que le cartouche (inexact) de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations ne serait d’aucun secours pour rattraper ces insuffisances, comme l’indique la Cour de Nancy, puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées (le fait générateur) qui est imprécis, voire faux….

François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA