Contrôle URSSAF : société ou groupe ?

Publié le 7 février 2023

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(à propos de Rennes. 9ème Ch Sécurité Sociale. 9 novembre 2022. RG n°18/08310)

Commençons par une habitude bien française : l’énoncé de chiffres ou de statistiques dont le général de Gaulle disait : « les statistiques c’est comme la mini-jupe, ça donne des idées mais ça cache l’essentiel ! »…Les Unions de Recouvrement de cotisations de Sécurité sociale et d’Allocations Familiales (URSSAF) qui ont notamment pour mission de vérifier les déclarations sociales des employeurs mènent chaque année plus de 70 000 actions de vérifications auprès des entreprises (plus du double de l’administration fiscale), sachant que 70 % des contrôles aboutissent à un régularisation…Ces chiffres ne sont guère étonnants lorsque l’on connaît la complexité du droit français et les difficultés de son interprétation, surtout lorsque les « employeurs » ne sont pas des spécialistes de la paie…Et la note peut être salée puisqu’elle comprendra le montant des cotisations patronales, des cotisations salariales (dont l’employeur est responsable au titre du précompte), des majorations de retard….voire bien davantage si l’on est dans le cas du travail dissimulé (dont l’infraction est aujourd’hui totalement banalisé).

Suite à la vérification des déclarations, l’URSSAF va éventuellement procéder à un redressement par l’envoi d’une lettre d’observations à laquelle le cotisant pourra répondre dans un délai de 30 jours (éventuellement renouvelable une fois). Après réponse de l’organisme, celui-ci va envoyer une mise en demeure que le redevable pourra contester devant la Commission de recours amiable de l’organisme de recouvrement, puis devant le Tribunal Judiciaire…

Les arguments de contestation du débiteur peuvent être de deux ordres : le fond du litige, mais également la forme (c’est-à-dire le non-respect de la procédure). Et les spécialistes en matière de sécurité sociale, savent bien qu’il s’agit d’un point important de la contestation, sachant que les URSSAF ont tendance à user et abuser de leurs droits…

Le champ d’application du contrôle

Dans cette affaire, l’URSSAF avait diligenté un contrôle auprès de 38 sociétés d’un groupe (dont une société composée de plusieurs établissements, le siège social accueillant également les sièges sociaux d’autres sociétés du groupe). Quatre inspecteurs s’étaient rendus sur place ensemble pour procéder aux dits contrôles. S’agissant plus précisément du redressement, objet du litige, le cotisant s’était vu notifier une lettre d’observations, puis une mise en demeure. Le Tribunal avait validé ce redressement. Devant la Cour de Rennes, le cotisant évoquait essentiellement un argument de procédure. Selon ce dernier, lorsque les opérations de contrôle sont effectuées par plusieurs inspecteurs, la lettre d’observations doit comporter la signature de chacun d’eux, à peine de nullité du contrôle et du redressement subséquent, en application de l’article R. 243-59 du code de la sécurité sociale, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Au contraire, pour l’URSSAF, seul un inspecteur avait été mandaté par entité juridique pour réaliser la vérification des déclarations sociales et le simple fait que les quatre inspecteurs en charge des contrôles des sociétés du groupe avaient été reçus le même jour et au même endroit ne signifiait pas pour autant qu’ils avaient effectué un contrôle conjoint.

Certes, il est constant que les quatre inspecteurs avaient été installés dans la même salle de réunion et avaient donc pu communiquer. Mais aucune preuve n’était apportée que le redressement opéré au détriment de la société s’appuyait sur des documents intéressant une autre société du groupe (V. dans ce sens : Amiens, 2° protection sociale, 8 décembre 2020, RG n° 18/04479). En revanche, au cours des opérations de contrôle, les inspecteurs avaient procédé à l’envoi de courriels communs aux fins de demande de pièces avec l’emploi du pluriel « nous » laissant entendre au destinataire que les documents étaient à adresser en retour à l’ensemble des inspecteurs pour examen.


Pour les juges d’appel, il résultait de l’ensemble de ces éléments que le contrôle avait fait l’objet d’une appréhension globale au niveau du groupe de sociétés et qu’il n’avait pas été opéré de traitement différencié par entité juridique des documents et informations, nonobstant le fait que l’avis de contrôle, la lettre d’observations, la réponse aux observations du cotisant, le courrier de réponse de l’inspecteur et le procès-verbal de contrôle avaient été signés d’un seul inspecteur. Dans ces conditions, le redressement ne pouvait qu’être annulé (V. dans le même sens : Rennes. 9ème Ch Sécurité Sociale. 9 novembre 2022. RG n°19/05382 19/05376)

Une solution de bon sens

Plusieurs éléments doivent ici être mis en évidence :

D’abord, un contrôle URSSAF s’exerce vis-à-vis d’un « employeur » (CSS art L 243-7), c’est-à-dire entreprise par entreprise, et ce, même si ces dernières appartiennent à un même « groupe »

▪ Ensuite, lorsque plusieurs inspecteurs participent aux opérations d’un même contrôle, cette lettre d’observations doit comporter la signature de chacun d’entre eux. À défaut, la lettre d’observations est irrégulière (Cass. 2° civ. 6 novembre 2014. pourvoi n° 13-23990Reims. Ch. soc. 1er juillet 2015. RG n° 13/02069Aix-en-Provence. Ch. 18. 1er avril 2016. RG n°14/18986 Paris. Pôle 6. Ch. 12. 3 novembre 2016. RG n° 15/12887 Paris. Pôle 06 ch. 12. 20 avril 2017. RG n° 15/11268 15/11270)

Or, les courriels envoyés indiquaient ici clairement que les demandes étaient communes pour l’ensemble des sociétés. Dans ces conditions, il fallait autant de signatures que d’inspecteurs ayant diligenté le contrôle.

En allant plus loin dans nos réflexions, on peut se demander si ces règles ne risquent pas d’être modifiées sous peu.  En effet, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 a ajouté un article dans le Code de la sécurité sociale, un article L  243-7-4 suivant lequel dans le cadre du contrôle d’une société appartenant à un groupe (la notion de groupe est entendue comme l’ensemble des personnes entre lesquelles existe un lien de détention ou de contrôle au sens des articles L. 233 1 et L. 233 3 du code de commerce), l’agent de contrôle pourra, « afin de limiter les procédures redondantes » (V. Exposé des motifs du projet de loi) utiliser les documents et informations obtenus lors du contrôle d’une autre entité du même groupe. Cependant, il est prévu dans ce cas que l’agent chargé du contrôle sera tenu d’informer le cotisant de la teneur et de l’origine des documents ou informations, obtenus sur lesquels il se fonde. Sur sa demande et après que cette faculté lui aura été précisée, l’agent communiquera une copie des documents à la personne contrôlée.

Le but est ici clairement de faciliter l’utilisation par les URSSAF des informations obtenues auprès de plusieurs entités appartenant à un même groupe alors que la jurisprudence impose que l’agent recoure, dans ce cas, à la procédure du droit de communication prévue à l’article L. 114-19 du code de la sécurité sociale (Cass civ. 2°.  11 février 2016 pourvoi no 15-13724, 17 janvier 2021, pourvoi n° 19-19395 7 juillet 2022 pourvoi no 20-18471). Un décret en Conseil d’État devra fixer les conditions et garanties applicables à cette utilisation de documents ou d’informations ainsi que le délai d’information de la personne contrôlée.