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Contrôle URSSAF : retour sur la mise en demeure ou des raisons d’espérer…

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Les trois mises en demeure notifiées par l’URSSAF à l’association suite au contrôle portent les mentions suivantes : dans le cadre « motif de mise en recouvrement » : « contrôle. Chefs de redressement notifiés par lettre d’observations du 09/11/20. Article R243.59 du code de la sécurité sociale » ; dans le cadre « nature des cotisations » : « régime général » ; dans le cadre « cotisations », une référence à la mention « incluses contribution d’assurance chômage, cotisations AGS ». Dès lors, si les mises en demeure font expressément référence à la lettre d’observations, elles ne comportent aucune référence au versement transport. Les montants réclamés au titre du redressement ne portant pas exclusivement sur des cotisations du régime général, voire portant exclusivement sur le « versement transport », elles n’informent pas suffisamment le cotisant sur la nature des cotisations réclamées. Dès lors, les mises en demeure doivent être annulées et le jugement sera infirmé (Nancy. Chambre Sociale-1ère sect. 13 février 2024. RG n° 23/01055)

Une fois de plus, il est utile de revenir sur la mise en demeure. Car, l’étude de la jurisprudence indique que maintes juridictions font fausse route sur le contenu de ce document.

Rappelons, s’il en était encore besoin que l’article L 244-2 du Code de la Sécurité sociale précise, en effet, que toute action ou poursuite effectuée par l’organisme de recouvrement est « obligatoirement » précédée d’une mise en demeure. Certes, ce document n’est pas un acte de procédure. Il « constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti » (Cass soc. 20 octobre 1994. pourvoi n° 92-12.570, 12 octobre 1995.pourvoi n° 93-14001 93-14065). On sait en outre que c’est à compter de la mise en demeure que sont calculés les délais de prescription (prescription des cotisations : CSS art. L 244-3 et L 244-11, prescription en matière de recouvrement : CSS art. L 244-8-1 et L 244-11) et que commencent les différentes possibilités de contestation (V. notamment saisine de la commission de recours amiable : CSS art R 142-1).

Désormais, l’article L. 244-2 al. 2 du Code de la sécurité sociale pose clairement le fait que le contenu de la mise en demeure « doit être précis et motivé ». Qui plus est l’article R. 244-1 du même code dispose que « la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent » (obligations déjà posées par l’arrêt Deperne : Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682 : la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti, et la contrainte délivrée à la suite de cette mise en demeure restée sans effet, doivent permettre à l’intéressé d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de son obligation ; [qu’]à cette fin il importe qu’elles précisent, à peine de nullité, outre la nature et le montant des cotisations réclamées, la période à laquelle elles se rapportent, sans que soit exigée la preuve d’un préjudice)

Or, immanquablement, la question se pose de savoir si la simple mention dans la rubrique « nature des cotisations » des termes « Régime général » est suffisant pour répondre aux conditions posées par l’article R 244-1 du Code de la sécurité sociale.

A cette interrogation, nous répondons clairement que non. Et au moins deux arguments étayent notre thèse :

▪ Rappelons, s’il en était besoin que le champ d’application du régime général est défini à l’article L. 200-1 du Code de la sécurité sociale et couvre notamment lassurance maladie, maternité, paternité et vieillesse, les accidents du travail et les maladies professionnelles, les prestations familiales, la protection universelle maladie…

Ainsi, la contribution d’assurance chômage et l’AGS ne font partie du Régine Général. Certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d’assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009). Mais cela ne vaut que pour le recouvrement des sommes…(TJ de Besançon. Pôle social. 13 juin 2022. RG n° 21/00191 – Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 9 décembre 2022, RG n° 21/08307).

De la même manière, devrait être déclarée nulle une mise en demeure qui cible uniquement des cotisations du Régime Général alors que la lettre d’observations évoque des « contributions » au fonds national d’aide au logement (FNAL). Rappelons ainsi que la contribution FNAL, est recouvrée par l’URSSAF, mais constitue un impôt (décision du Constitutionnel 18 décembre 2014 n° 2014-706 DC)

Il en est de même de la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 qui est considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt (décision 90-285 DC du 28 décembre 1990, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000). En ce sens, le Tribunal judiciaire de Lille a annulé une mise en demeure qui considérait la CSG comme une « cotisation » (Tribunal Judiciaire de Lille. Pôle social. 12 juillet 2022. RG n° 20/01497)

Il en est toujours de même de la contribution au dialogue social qui est certes à la charge de l’employeur (C trav art L 2135-9 s), mais n’est en aucune manière une « cotisation » du régime général …En effet, cette contribution sert à financer les syndicats d’employeurs et de salariés… !

Et que dire des majorations de retard qui ne sauraient constituer une « cotisation » relevant du « Régime général » ?

Soulignons également que le fait que le cartouche de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations (mention obligatoire de l’article R 244-1 du CSS) n’est ici strictement d’aucune aide  pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées (le fait générateur) qui est inexacte, imprécis….L’URSSAF, sauf à sombrer dans l’absurdité, ne saurait donc se targuer d’un renvoi à la lettre d’observations alors que c’est la mention même de la nature des sommes réclamées qui est fausse.

Certes, on mentionnera un arrêt (diffusé) de la 2° chambre civile de la Cour de cassation, allant à l’encontre de cette démonstration (V. Cass civ. 2°. 6 avril 2023, pourvoi n° 21-18645, validant une mise en demeure comportant la mention « Régime Général » et faisant référence à des contributions d’assurance chômage, cotisations AGS). Cependant, ce raisonnement ne saurait être approuvée dès lors que le document n’est ni précis ni exact, la référence à la lettre d’observations ne pouvant être d’aucun secours.

▪ Si le redressement concerne le versement mobilité, un autre argument peut en outre être défendu. On sait que ce versement qui vise les entreprises d’au moins 11 salariés, est destiné au financement des transports en commun (Code général des collectivités territoriales arts L 2333-68 et D 2333-86). Pratiquement, il constitue un impôt entrant dans la catégorie des impositions de toutes natures (Conseil constitutionnel, 16 janvier 1991, n° 90-287 DC – Tribunal des conflits, 7 décembre 1998, n° 212336 – Cass soc. 10 décembre 1998, pourvoi n° 97-13628). Toutefois, si ce versement constitue un impôt, il résulte de l’article L. 2333-69 du Code général des collectivités territoriales que les organismes de recouvrement sont seuls compétents pour procéder aux opérations d’assiette et de recouvrement des dites sommes (V. C des collectivités territoriales : D 2333-92 – V.Cass. civ. 2, 15 juin 2017, pourvoi n° 16-12510 – et logiquement, la restitution des sommes indûment versées par l’employeur incombe aux mêmes organismes de recouvrement : Cass. civ. 2, 15 juin 2017, pourvoi n° 16-12551). Si la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 appelle désormais ledit versement « versement au financement des services de mobilité », les principes sus mentionnés n’ont pas été modifiés.

Or, l’article D 2333-97 du Code des collectivités territoriales précise que « la mise en demeure adressée par l’organisme de recouvrement en application de l’article L. 244-2 du code de la sécurité sociale ou de l’article L. 725-3 du code rural et de la pêche maritime peut se borner à indiquer la nature des créances – cotisations de sécurité sociale et versement destiné au financement des services de mobilité – sans préciser leur montant respectif. Il en est de même pour les majorations de retard ». En d’autres termes, dès lors qu’un redressement concerne le versement mobilité, la mise en demeure peut se limiter la mention « cotisations de sécurité sociale et versement destiné au financement des services de mobilité ». Encore faut il que cette mention apparaisse. Et en l’absence de ces précisions minima, il est clair que la mise en demeure serait nulle (Cass civ.2°. 14 février 2019 pourvoi n°18-10238, Nancy. Chambre Sociale-1ère sect. 2 mai 2023. RG n° 22/00011, Saint-Denis de la Réunion, Chambre sociale, 4 mai 2023, RG n° 22/00912). La Cour de Nancy, dans le présent arrêt ne fait que répéter cette évidence.

Fort de ces deux arguments, il est à espérer que les URSSAF modifieront leurs pratiques afin que le cotisant soit pleinement informé des motifs de la demande. C’est pour le moins un minimum.



François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA

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