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Un organisme de recouvrement conserve la possibilité de décerner une contrainte si la commission de recours amiable n’a pas reconnu le bien-fondé du recours engagé devant elle dans le délai de deux mois. En l’espèce, force est de constater que la commission n’a rendu aucune décision dans le délai de deux mois du recours. L’organisme était donc parfaitement fondé à délivrer une contrainte malgré la saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale par la cotisante. Les moyens soulevés par l’appelante tirés de l’irrégularité des mises en demeure seront donc écartés (Rennes. 9° chambre sécurité sociale. 27 septembre 2023, RG n° 21/04458)
Les rapports entre le contentieux général et le contentieux du recouvrement de la sécurité sociale ne sont toujours faciles à appréhender. Rappelons qu’à l’origine de tout redressement il y a une mise en demeure (CSS art L. 244-2). Certes, ce document, très dépouillé, ne constitue qu’une « invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti » (Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682). Il n’empêche, qu’il est indispensable dans le cadre de la procédure puisque l’on sait que c’est à compter de la mise en demeure que sont calculés les délais de prescription (prescription des cotisations : CSS art. L 244-3 et L 244-11, prescription en matière de recouvrement : CSS art. L 244-8-1 et L 244-11) et que commencent les différentes possibilités de contestation (V. notamment saisine de la commission de recours amiable : CSS art R 142-1). Notons enfin que suite à la mise en demeure, le cotisant peut contester la prétention de l’organisme devant la Commission de recours amiable, et ce, dans les « deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation ».
C’est cependant là où les problèmes peuvent commencer. En effet, faute de paiement par le débiteur de la somme réclamée, l’organisme de recouvrement peut mettre en oeuvre le contentieux du recouvrement par voie de contrainte (par souci de rapidité, mais aussi parce que « la décision du tribunal, statuant sur opposition, est exécutoire de droit à titre provisoire » CSS art R 133-3 dernier al) . Et si encore une fois, la mise en demeure ne constitue qu’une « invitation » à payer une somme, la contrainte constitue un titre exécutoire permettant à l’organisme de recouvrer une somme due. Pratiquement, elle « est signifiée au débiteur par acte d’huissier de justice ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception » (CSS art R 133-3) et, selon l’article L 244-9, à défaut d’opposition du débiteur devant le tribunal judiciaire dans les délais fixés par décret, le document comporte tous les effets d’un jugement et confère notamment le bénéfice de l’hypothèque judiciaire.
Toutefois, une lecture attentive des textes indique que les délais prévus dans le cadre du contentieux général et du contentieux du recouvrement ne sont pas nécessairement compatibles. En effet, la mise en demeure doit rappeler au cotisant la nécessité de régulariser sa situation dans le mois (CSS art L 244-2 al 1). Et faute de régularisation dans ce délai, l’organisme de recouvrement aurait la faculté de décerner une contrainte (CSS art R 133-3 al 1). Toutefois…le débiteur peut saisir la commission de recours amiable dans les deux mois de la mise en demeure (CSS art R 142-1 al 2).
Cette différence dans l’application des délais a une histoire. A l’origine, si la saisine de la commission de recours amiable devait intervenir dans « dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision contre laquelle les intéressés entendent former une réclamation », il était prévu que les contestations formées à l’encontre des décisions prises par les organismes chargés du recouvrement des cotisations devaient être présentées à la commission de recours amiable dans un délai d’un mois à compter de la notification de la mise en demeure. Cependant, le rapport rédigé par les députés Bernard Gérard et Marc Goua (Pour un nouveau mode de relations URSSAF/Entreprises – Avril 2015) avait proposé de porter uniformément le recours devant la CRA à deux mois (proposition 42), ce qui a été concrétisé par le décret n°2016-941 du 8 juillet 2016. Il en résulte donc aujourd’hui, et faute d’avoir modifié les délais dans le cadre du contentieux du recouvrement, qu’une distorsion existe entre les deux contentieux. Pratiquement, suite au délai d’un mois après la mise en demeure, un organisme de recouvrement pourrait décerner une contrainte à un cotisant, le privant ainsi de la possibilité de saisir la commission de recours amiable.
Certes, on pourrait répondre aisément à cette remarque que le contentieux du recouvrement l’emporte sur le contentieux général et que les organismes de recouvrement du régime général conservent la possibilité de décerner une contrainte (à laquelle le cotisant se doit de faire opposition dans les délais) nonobstant la saisine de la commission de recours amiable (V. pour exemple : Versailles, 5e Chambre, 19 décembre 2019, RG n° 18/00795).
Il n’empêche que ce manque d’harmonisation des délais fait désordre et qu’une modification des articles L 244-2 al 1 et R 133-3 al 1 (portant le délai de régularisation à 2 mois) serait la bienvenue. Qui plus est, il serait souhaitable de prévoir que la contestation de la mise en demeure, dans le cadre du contentieux général de la sécurité sociale, suspend toute procédure en recouvrement des cotisations.
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA