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La mise en demeure du 28 aout 2017 adressée à la société KC (sous-traitant) ne comportait pas l’invitation à s’acquitter de sa dette dans le mois conformément à l’article L 244-2 alinéa 1er du Code de la sécurité sociale. Cette irrégularité entraînait nécessairement sa nullité ;
L’URSSAF estime que cette irrégularité, si elle entache la mise en demeure adressée à la société KC, n’avait aucune incidence sur la mise en demeure adressée à la société SS (donneuse d’ordre) le 7 mars 2022
La décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015 du Conseil constitutionnel à laquelle se réfère expressément la Cour de cassation (Cass civ.2°. 23 juin 2022. pourvoi n° 20-221258) estime que le donneur d’ordre est recevable à contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires au paiement solidaire desquels il est tenu. Si, selon la Cour de cassation, le donneur d’ordre peut invoquer, à l’appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré, il n’y a pas lieu, comme le fait l’URSSAF, de s’attacher au terme « redressement », employé au vu des circonstances de la cause, dès lors que le Conseil constitutionnel emploie les termes de « procédure » dont fait nécessairement partie la mise en demeure et « l’exigibilité des cotisations » dont la mise en demeure est l’instrument. Ainsi, la société SS est recevable et bien fondée à invoquer la nullité de la mise en demeure délivrée à la société KC, ce qui a pour effet, d’emporter décharge pour la société SS, en sa qualité de donneur d’ordre, des sommes faisant l’objet du redressement (Tribunal Judiciaire de Versailles. Pôle social. 23 mars 2023. RG n° 22/01036)
Cette décision requiert plusieurs explications préalables :
▪ Rappelons que la solidarité financière du donneur d’ordre concerne essentiellement le cocontractant qui n’a pas vérifié que le prestataire a respecté les obligations de formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 (absence d’immatriculation ou absence de déclaration des revenus sachant que cette situation peut résulter d’une non-déclaration d’une partie du chiffre d’affaires ou des revenus) et L. 8221-5 (absence de déclaration préalable à l’embauche ou de délivrance de bulletin de paie ou de déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales) (C trav art L 8222-1), ou celui qui a été averti et qui n’a pas fait cesser l’infraction (C trav art L 8222-5) ou encore, le donneur d’ordre qui manque à son obligation de vigilance en omettant de s’assurer que son cocontractant a procédé aux formalités requises pour son immatriculation et s’est acquitté de ses obligations de déclarations et de paiement auprès des organismes de sécurité sociale (C trav art L 8222-2). Remémorons que cette obligation de vigilance suppose pour le donneur d’ordre de se faire remettre par son cocontractant, lors de la conclusion d’un contrat portant sur l’exécution d’un travail ou la fourniture d’une prestation de services dont le montant est au moins égal à 5000 € puis tous les six mois jusqu’à la fin de son exécution, une attestation dite «de vigilance», délivrée à ce dernier par l’organisme de sécurité sociale pour certifier qu’il s’acquitte de ses déclarations et du paiement de ses cotisations (C trav art L 8222-1 et R 8222-1, CSS art L 243-15).
▪ Le donneur d’ordre négligent est tenu solidairement du paiement des cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations dus, au remboursement des sommes correspondant au montant des aides publiques dont il a bénéficié et enfin, au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues par lui à raison de l’emploi de salariés n’ayant pas fait l’objet de déclaration préalable à l’embauche et de délivrance du bulletin de paie. Les sommes dues sont déterminées à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession (CSS art L 8222-3). En outre, les donneurs d’ordre se voient appliquer une annulation des réductions ou exonérations des cotisations et contributions sociales dont ils ont pu bénéficier (disposition déclarée conforme à la Constitution : Cons const. décision n° 2019-796 QPC, du 5 juillet 2019).
▪ Par une décision n° 2015-479 QPC du 31 juillet 2015, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 8222-2 du code du travail, sous réserve qu’elles n’interdisent pas au donneur d’ordre de contester la régularité de la procédure, le bien-fondé de l’exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu (considérant n° 14). Puis, la Cour de cassation a décidé « que le donneur d’ordre peut invoquer, à l’appui de sa contestation de la solidarité financière, les irrégularités entachant le redressement opéré à l’encontre de son cocontractant du chef du travail dissimulé » (Cass civ.2°. 23 juin 2022, pourvoi n° 20-22128 – cette position rejoint celle de l’administration fiscale : CE, 6 juin 2018, 418863)
Sauf à considérer la responsabilité financière du donneur d’ordre automatique ou à refuser de faire application de la décision du Conseil constitutionnel précitée du 31 juillet 2015, il convient de donner au donneur d’ordre la possibilité de se défendre efficacement dès les échanges contradictoires, ce qui n’est guère le cas actuellement… D’abord, en donnant à ce même donneur d’ordre la faculté d’avoir accès au dossier du sous-traitant, dès la phase contradictoire et non au stade de la phase contentieuse (voir sur ce point l’article L. 122-2 du Code des relations du public avec l’administration (CRPA) (applicable aux organismes de Sécurité sociale : CRPA article L. 100-3), suivant lequel les mesures « à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant » V. également la position du Conseil d’Etat suivant laquelle la personne en cause doit être « informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction, des griefs formulés à son encontre et mise à même de demander la communication des pièces au vu desquelles les manquements ont été retenus » (CE, 30 décembre 2021, N° 437653, B). Ensuite, en permettant au donneur d’ordre d’avoir accès au procès-verbal établi à l’encontre du sous-traitant et ce dès les échanges contradictoires (et non simplement au stade judiciaire en cas de contestation par le donneur d’ordre de l’existence ou du contenu de ce document : Cass. 2° civ., 8 avril 2021, pourvoi n° 19-23728 – 8 avril 2021, pourvoi n° 20-11126 – 6 avril 2023, pourvoi n° 21-17173)…
Présentement, le jugement du Tribunal Judiciaire de Versailles du 23 mars 2023, nous montre l’intérêt pour le donneur d’ordre d’invoquer certains vices de procédure dans le cadre du contentieux sous-traitant/URSSAF…à condition d’avoir accès au dossier. En l’espèce, la mise en demeure adressée au sous-traitant ne comportait pas la mention du délai d’un mois imparti au cotisant pour s’acquitter des sommes dues. Dès lors, le redressement encourait logiquement la nullité (V. Cass civ.2°. 19 décembre 2019. pourvoi n° 18-23623, 12 mars 2020. pourvoi n° 18-20008). Et cette nullité, par ricochet, affectait la mise en demeure adressée au donneur d’ordre (fut elle régulière)…
Cette décision doit être approuvée. Mais, dans le même temps, on peut déplorer (rien que dans un souci de transparence) que l’information du donneur d’ordre ne soit pas facilitée dès les échanges contradictoires.
François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA