Contentieux URSSAF : du contenu de la mise en demeure (suite et non fin)

Publié le 10 octobre 2023

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Il résulte des mises en demeure litigieuses qu’il est fait mention à la rubrique « Motif de mise en recouvrement » à une « régularisation annuelle » et à la rubrique « nature des cotisations » au « régime général », sans qu’il ne soit fait aucune référence à la contribution au versement de transport. Or, même si le recouvrement des contributions dues par certaines entreprises au titre du versement de transport incombe aux organismes sociaux, ces contributions s’inscrivent dans un contexte propre distinct des cotisations de sécurité sociale. Le versement de transport, qui concourt au financement des transports en commun, revêt le caractère non d’une cotisation de sécurité sociale mais d’une imposition. Les mises en demeure qui ne mentionnent, au titre de la nature des cotisations, que « régime général » ne permettent pas à la fondation de savoir que celles-ci sont délivrées au titre du financement des transports en commun.

En conséquence, les mises en demeure doivent être déclarées nulles à défaut de permettre à la fondation d’avoir connaissance de la nature, de la cause et de l’étendue de ses obligations (Saint-Denis de la Réunion, Chambre sociale, 4 mai 2023, RG n° 22/00912)

Quoique très simple, la mise en demeure est essentielle dans le cadre d’un redressement opéré par l’URSSAF. L’article L 244-2 du Code de la Sécurité sociale précise, en effet, que toute action ou poursuite effectuée par l’organisme de recouvrement est « obligatoirement » précédée d’un avertissement, si elle a lieu à la requête du ministère public (ce qui est rare) ou d’une mise en demeure quand elle intervient sur l’initiative de l’organisme de recouvrement. On rappellera utilement que c’est à compter de la mise en demeure que sont calculés les délais de prescription (prescription des cotisations : CSS art. L 244-3 et L 244-11, prescription en matière de recouvrement : CSS art. L 244-8-1 et L 244-11) et que commencent les différentes possibilités de contestation (V. notamment saisine de la commission de recours amiable : CSS art R 142-1).

Certes, cette mise en demeure n’est pas un acte de procédure. Elle « constitue une invitation impérative adressée au débiteur d’avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti » (Cass soc. 20 octobre 1994. pourvoi n° 92-12.570, 12 octobre 1995.pourvoi n° 93-1400193-14065). Il en résulte que cette mise en demeure n’est soumise à aucun formalisme particulier. Toutefois, étant donné l’importance de ce document, le législateur au fil des ans, afin d’en fixer un contenu minimum.

Désormais, l’article L. 244-2 al. 2 du Code de la sécurité sociale pose clairement le fait que le contenu de la mise en demeure « doit être précis et motivé ». Qui plus est l’article R. 244-1 du même code dispose que « la mise en demeure précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées, les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent » (obligations déjà posées par l’arrêt Deperne : Cass soc. 19 mars 1992. pourvoi n° 88-11682).

Dans ces conditions, une mise en demeure comportant un redressement relatif au versement mobilité (anciennement versement transport), peut- elle se contenter d’indiquer dans la rubrique « nature des cotisations » (c’est-à-dire les caractéristiques des cotisations), la mention « Régime général » ? Rappelons, s’il en était besoin que le champ d’application du régime général est défini à l’article L. 200-1 du CSS et couvre notamment l’assurance maladie, maternité, paternité et vieillesse, les accidents du travail et les maladies professionnelles, les prestations familiales, la protection universelle maladie…

En aucune manière, le Régime Général n’est concerné par le versement mobilité qui vise les entreprises d’au moins 11 salariés, et qui est destiné au financement des transports en commun (Code général des collectivités territoriales arts L 2333-68 et D 2333-86). Pratiquement, ce versement constitue un impôt entrant dans la catégorie des impositions de toutes natures (Conseil constitutionnel, 16 janvier 1991, n° 90-287 DC – Tribunal des conflits, 7 décembre 1998, n° 212336 – Cass soc. 10 décembre 1998, pourvoi n° 97-13628). Toutefois, si ce versement constitue un impôt, il résulte de l’article L. 2333-69 du Code général des collectivités territoriales que les organismes de recouvrement sont seuls compétents pour procéder aux opérations d’assiette et de recouvrement des dites sommes (Cass. civ. 2, 15 juin 2017, pourvoi n° 16-12510– et logiquement, la restitution des sommes indûment versées par l’employeur incombe aux mêmes organismes de recouvrement : Cass. civ. 2, 15 juin 2017, pourvoi n° 16-12551). Si la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 appelle désormais ledit versement « versement au financement des services de mobilité », les principes sus mentionnés n’ont pas été modifiés.

Dès lors que la mention Régime Général apparait sur une mise en demeure comportant du versement mobilité, force est de déduire que cette mention est inexacte, non « précise » et doit entrainer en conséquence la nullité du document (Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 23 septembre 2022, RG n° 21/07818 – Nancy. Chambre Sociale-1ère sect. 2 mai 2023. RG n° 22/00011) Mais en allant plus loin dans notre raisonnement, il n’y a pas que le versement mobilité qui est concerné par ces constatations. Ainsi, la même démonstration pourrait être faite pour la contribution d’assurance chômage et l’AGS qui ne font partie du Régine Général. Certes, depuis le 1er janvier 2011, les contributions au régime d’assurance chômage et les cotisations au régime de garantie des salaires (AGS) sont recouvrées par les URSSAF (V. loi n° 2009-1646 du 24 décembre 2009).

Mais cela ne vaut que pour le recouvrement des sommes…(TJ de Besançon. Pôle social. 13 juin 2022. RG n° 21/00191- Aix-en-Provence, Chambre 4-8, 9 décembre 2022, RG n° 21/08307). De la même manière, devrait être déclarée nulle une mise en demeure qui cible uniquement des cotisations du Régime Général alors que la lettre d’observations évoque des « contributions » FNAL. Rappelons ainsi que la contribution FNAL, est recouvrée par l’URSSAF, mais constitue un impôt (décision du 18 décembre 2014 n° 2014-706 DC) Il en est de même de la CSG crée par la loi de finances n° 90-1168 du 29 décembre 1990 qui est considéré par le Conseil constitutionnel comme un impôt (décision 90-285 DC du 28 décembre 1990, décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000).

En ce sens, le Tribunal judiciaire de Lille a annulé une mise en demeure qui considérait la CSG comme une « cotisation » (Tribunal Judiciaire de Lille. Pôle social. 12 juillet 2022. RG n° 20/01497) Il en est toujours de même de la contribution au dialogue social qui est certes à la charge de l’employeur (C trav art L 2135-9 s), mais n’est en aucune manière une « cotisation » du régime général …En effet, cette contribution sert à financer les syndicats d’employeurs et de salariés… !

Soulignons également que le fait que le cartouche de la mise en demeure « Nature des cotisations : régime général » renvoie à la lettre d’observations (mention obligatoire de l’article R 244-1 du CSS) n’est ici strictement d’aucun secours pour rattraper ces insuffisances puisque c’est la mention même de la nature des sommes réclamées (le fait générateur) qui est inexacte, imprécis….L’URSSAF, sauf à sombrer dans l’absurdité, ne saurait donc se targuer d’un renvoi à la lettre d’observations alors que c’est la mention même de la nature des sommes réclamées qui est fausse.

Toutefois cet article ne serait pas complet si nous ne signalions un arrêt (diffusé) de la 2° chambre civile de la Cour de cassation, allant à l’encontre de ce raisonnement (V. Cass civ. 2°. 6 avril 2023, pourvoi n° 21- 18645, validant une mise en demeure comportant la mention « Régime Général » et faisant référence à des contributions d’assurance chômage, cotisations AGS). Toutefois, le présent arrêt de la Cour de Saint Denis de la Réunion, marque une salutaire et nécessaire résistance des juges du fond !

François Taquet Professeur de Droit social (IESEG, SKEMA BS) Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale Directeur scientifique du réseau d’avocats GESICA