Brexit : quelles conséquences juridiques ?

Publié le 12 mars 2021

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Après quatre ans et demi d’âpres négociations ayant fait suite au référendum sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne en juin 2016, le Royaume-Uni n’est désormais plus un État membre depuis le 31 décembre 2020.

 

L’accord historique de commerce et de coopération conclu le 24 décembre 2020 entérine 47 ans d’intégration européenne outre-Manche. Cet accord constitue sans aucun doute le texte le plus important jamais conclu par l’Union européenne avec un pays tiers.

 

La principale conséquence de la sortie de l’Union européenne pour le Royaume-Uni est que le droit de l’Union européenne a cessé de s’y appliquer. Autrement dit, la fin de la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux entre le Royaume-Uni et les États membres de l’Union. Par ailleurs, le pays s’est retiré de l’ensemble des accords internationaux conclus par l’Union, ainsi que du programme Erasmus+ 2021-2027.

 

Ainsi depuis le 1er janvier 2021, conséquence la plus visible, les déclarations douanières et les contrôles des marchandises aux frontières sont redevenus obligatoires. Mais plus largement, ce sont l’ensemble des relations économiques et diplomatiques qui sont redéfinies avec le Royaume-Uni, et l’accord porte en son sein des dispositions intéressant particulièrement les professions juridiques.

 

Retour sur les principales conséquences juridiques à attendre suite à l’accord post-Brexit.

 

Quel droit applicable actuellement ?

 

L’accord commercial et de coopération, publié au Journal officiel de l’Union européenne du 31 décembre 2020, est un texte de 1.500 pages qui servira de socle à la nouvelle relation diplomatique et juridique unissant Britanniques et Européens. 

 

À ce jour, l’accord bénéficie d’une application autorisée à titre provisoire jusqu’au 28 février 2021, en attendant le vote du Parlement européen au premier trimestre 2021 qui aura pour objet de ratifier le texte. Le Parlement britannique, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne) et Charles Michel (président du Conseil européen) l’ont quant à eux déjà ratifié.

 

L’accord étant dit « mixte », c’est-à-dire qu’il est conclu par les États membres et l’UE avec des pays non-membres de l’UE dans des domaines relevant de la compétence partagée entre l’UE et les États membres (et non de la compétence exclusive de l’UE), l’accord n’aura pas à être ratifié par les parlements nationaux.

 

Cependant, et jusqu’à l’application définitive de l’accord du 24 décembre qui fera suite à la ratification, les dispositions du traité provisoire de retrait conclu moins d’un an auparavant, le 31 janvier 2020 (entré en vigueur le 1er février 2020), restent toujours applicables et celui-ci ne sera remplacé définitivement par le nouvel accord qu’une fois ce dernier ratifié par le Parlement européen.

 

Il est également nécessaire de rappeler que le Royaume-Uni est, de manière globale, toujours soumis au « retained EU law », c’est-à-dire l’ensemble des normes juridiques internes directement issues du droit de l’UE. L’abandon de ces normes d’origine européenne se fera progressivement par le législateur britannique.

 

Les principales dispositions de l’accord

 

L’accord organise tout un panel de mesures régissant les relations commerciales à venir avec le Royaume-Uni. À ce titre, des mesures d’ordre général sont prises afin d’organiser une relation de concurrence saine et équitable.

 

Ainsi, des clauses de non-régression sont stipulées en matière environnementale et de droit du travail, afin de prévenir toute forme de dumping entre le R-U et l’UE, qui forment désormais deux marchés distincts. L’objectif est d’éviter de revenir sur les acquis écologiques et sociaux préalablement garantis au sein des pays. De plus, l’accord vise à maintenir un haut niveau de protection dans la lutte contre le changement climatique, avec par exemple des dispositions relatives à la tarification du carbone.  

 

Il vise aussi à garantir une plus grande transparence fiscale. En effet, il existe de nombreuses dispositions en matière fiscale, notamment sur les impôts directs, mais surtout avec un nouveau protocole de coopération administrative dans le domaine de la TVA et de l’assistance mutuelle pour le recouvrement de la TVA, des droits de douanes et des accises.

 

Afin de prévenir les différends qui pourraient naître à l’occasion de l’exécution de l’accord, les parties ont prévu d’assurer une coopération intergouvernementale avec un accord horizontal sur la gouvernance. L’accord instaure la création d’un Conseil de partenariat paritaire (première partie, titre III), composé de représentants de l’Union et du Royaume-Uni, privilégiant ainsi la voie diplomatique pour le règlement des différends. En cas d’échec des procédures diplomatiques, le recours à une procédure d’arbitrage est prévu (sixième partie).

 

Les principales dispositions concernent toutefois la libre circulation des personnes, ainsi que celles des marchandises et des biens, qui sont désormais affectés par des obligations de déclaration et de contrôle.

 

La circulation des personnes

 

La liberté de circulation et de séjour des personnes dans l’Union européenne, consacrée à l’article 21 du traité FUE, forme la pierre angulaire de la citoyenneté de l’Union. Concernant les travailleurs, leur libre circulation est inscrite à l’article 45 du traité FUE et constitue pour eux un droit fondamental. L’un des impacts majeurs de la sortie du Royaume-Uni de l’Union concernera donc naturellement la liberté de circulation des personnes entre les deux entités.

 

Toutefois, l’accord de commerce et de coopération prévoit une absence de visa pour voyageurs concernant les séjours de courte durée (deuxième partie, rubrique 4). Si jamais une des deux parties souhaitait introduire des restrictions à ce principe, elle devrait prévenir l’autre partie dans un délai de trois mois avant que l’obligation ne prenne effet. Pour faciliter la transition pour les travailleurs, les États membres et le Royaume-Uni ont également fait le choix de coordonner leurs systèmes de sécurité sociale.

 

De nombreuses dispositions sont relatives au transport aérien (deuxième partie, rubrique 2) et le transport routier (deuxième partie, rubrique 3). S’ils demeurent toujours possibles sans entrave dans la grande majeure partie des cas, apparaissent cependant de nouvelles restrictions, notamment concernant les escales sur le sol d’un État membre lors d’un vol vers un État tiers à bord d’une compagnie aérienne britannique ou bien à l’occasion du franchissement d’une frontière d’un État membre par les chauffeurs routiers

 

Enfin, des dispositions spécifiques ont été adoptées sur la pêche (deuxième partie, rubrique 5), sujet qui a longtemps été un point de blocage majeur des négociations en raison des enjeux économiques pour les pêcheurs britanniques, qui devront renoncer à un quart de leurs captures à partir de juin 2026.

 

La circulation des marchandises et les dispositions douanières 

 

Si le Brexit signe la fin de la libre circulation des biens et des marchandises telle qu’elle était consacrée entre le Royaume-Uni et l’UE, l’accord conclu à la veille de Noël ne prévoit pas pour autant le retour des droits de douane et des barrières non tarifaires.

 

Néanmoins, les règles issues de l’accord seront moins avantageuses que celles qui existaient en présence du marché unique. En effet, les marchandises sont maintenant soumises à une obligation de déclaration ayant pour but de vérifier la provenance des marchandises échangées, le respect des règles d’origine et les certificats de conformité aux exigences sanitaires et phytosanitaires. En pratique, ces mesures auront pour effet d’entraîner un surcoût sur les marchandises en raison du nécessaire accomplissement des formalités administratives et donc un prix supérieur pour le consommateur.

 

Pour maintenir la fluidité de circulation des marchandises, la douane française a conçu une solution technologique appelée « frontière intelligente » ou SI Brexit. Celle-ci a pour but de préparer en amont les démarches administratives et douanières, afin notamment d’éviter que les camions soient bloqués à la frontière dans l’attente de l’accomplissement de celles-ci.

Le 4 février 2021, Jean-Michel Thillier, directeur interrégional des douanes et droits indirects des Hauts-de-France chargé du Brexit, dressait un bilan des conséquences douanières un mois après l’entrée en vigueur de l’accord. S’il s’estimait satisfait de la mise en œuvre de cette « frontière intelligente », il regrettait toutefois que nombreux opérateurs aient considéré à tort que l’accord du 24 décembre les dispensait d’accomplir les formalités douanières avant le passage de la frontière.

Concernant les prestations de services, l’accord prévoit désormais des restrictions d’accès au marché européen pour les services financiers. Ceux-ci nécessitent l’obtention d’une équivalence par l’UE, alors qu’auparavant les professionnels britanniques bénéficiaient du passeport européen. En outre, la reconnaissance des qualifications professionnelles ne sera plus automatique.

 

Les dispositions spécifiques aux professions juridiques

 

L’accord prévoit des dispositions spécifiques concernant les professions juridiques. En effet, sont visés les services de conseil juridique et les services d’arbitrage, de conciliation et de médiation juridiques (deuxième partie, rubrique 1, titre II, section 7).

 

Il est prévu que les avocats puissent exercer librement leur profession, à condition que leurs services soient relatifs au droit international public ou au droit de l’État dans lequel il leur a été octroyé le droit d’exercer.

 

Concernant les services juridiques, l’accord prévoit l’autorisation aux personnes morales d’établir sur le territoire d’un État une succursale qui fournirait des services juridiques. Pour cela, il est nécessaire qu’un certain pourcentage d’actionnaires, de propriétaires, d’associés ou de dirigeants de la personne morale possèdent les qualifications requises pour exercer ou exercent une profession particulière (avocat ou comptable par exemple).

 

Cependant, pour la fourniture de ces services juridiques, il est désormais possible pour les États de demander l’obtention d’une autorisation ou une licence auprès d’une autorité ou de se conformer à des obligations en matière d’enregistrement. S’il est demandé à l’avocat de s’enregistrer sur le territoire pour fournir ses services juridiques, les exigences auxquelles il sera soumis ne peuvent pas être moins favorables que celles s’appliquant à une personne physique d’un pays tiers fournissant des services en rapport avec le droit d’un pays tiers ou le droit international public. De plus, la procédure d’enregistrement ne pourra équivaloir à une exigence de requalification en profession d’avocat de la juridiction d’accueil ou d’admission à cette profession.

 

L’accord prévoit également que la fourniture de certains services juridiques portant sur le droit britannique peut être soumise à une condition de résidence (présence commerciale) ou bien encore que les conditions d’admissibilité à remplir pour s’inscrire à un barreau peuvent comporter l’obligation d’avoir suivi une formation avec un avocat agréé ou d’avoir un cabinet ou une adresse postale dans le ressort de ce barreau. Ainsi, certains États membres peuvent imposer d’être habilité en tant que praticien du droit de la juridiction d’accueil.

 

En conclusion, les professions juridiques devront se conformer aux réglementations professionnelles propres à chacun des États membres, laissant place à l’harmonie du régime de reconnaissance mutuelle qui régnait auparavant.

 

Pour les avocats britanniques qui souhaiteront exercer en France, ils pourront bénéficier des dispositions de l’article 101 de la loi du 31 décembre 1971 créant un statut de consultant juridique étranger, qui prévoit que « tout avocat inscrit au barreau d’un État non membre de l’Union européenne est autorisé à exercer en France, dans les conditions prévues au présent titre et dans le cadre des traités internationaux conclus par l’Union européenne, que ce soit à titre temporaire et occasionnel ou à titre permanent, l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour autrui, en droit international et en droit de l’État dans lequel il est inscrit et des États dans lesquels il est habilité à exercer l’activité d’avocat, à l’exception du droit de l’Union européenne et du droit des États membres de l’Union européenne ».

 

Quel avenir pour la coopération judiciaire ?

 

La question de l’organisation de la coopération judiciaire entre l’Union et le Royaume-Uni était une des grandes interrogations du Brexit. L’accord a partiellement répondu à ces attentes, car les questions de coopération en matière civile et judiciaire n’y sont pas abordées. Il existe toutefois une ébauche de collaboration en matière pénale.

 

En effet, en matière civile, les règlements Bruxelles I et Bruxelles I (refonte) sont applicables pour les actions introduites avant l’entrée en vigueur du Brexit. Pour les actions introduites à compter du 1er janvier 2021, celles-ci seront régies par la Convention de la Haye du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for. Enfin, le Royaume-Uni pourrait éventuellement ratifier la convention de Lugano sur la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, déjà ratifiée par les partenaires de l’UE que sont l’Islande, la Norvège et la Suisse. En matière familiale, le règlement Bruxelles II bis n’est maintenant plus applicable et plusieurs conventions de la Haye trouveront à s’appliquer.  

 

Là encore, ces instruments internationaux demeurent moins performants que le principe de reconnaissance mutuelle qui présidait auparavant.

 

En matière pénale, l’accord du 24 décembre vise à renforcer la coopération des services répressifs et judiciaires (troisième partie). Pour rappel, la France et le Royaume-Uni restent aussi liés par plusieurs conventions pénales du Conseil de l’Europe.

 

Pour la remise des personnes, le mécanisme retenu est proche de celui du mandat d’arrêt européen, même si celui-ci est également moins performant. En effet, le contrôle de la double incrimination est rétabli, la diffusion d’une notice Interpol ne vaut plus demande d’arrestation provisoire et la France ne remettra plus ses ressortissants au Royaume-Uni, selon les déclarations du ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale le 11 février dernier.

 

Concernant l’entraide pénale, les fondements restent ceux de la Convention européenne d’entraide judiciaire de 1959 et des deux protocoles additionnels adoptés en 1978 et 2001. L’accord du 24 décembre est venu renforcer ces conventions en s’inspirant des mécanismes existants au sein de l’UE. Par exemple, sont ainsi envisagés les échanges d’ADN, d’empreintes digitales et de données d’immatriculation des véhicules, la coopération avec Eurojust ou bien encore des mesures sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Un dispositif en matière de gel et confiscation des produits d’un crime et un mécanisme d’échange des informations sur les condamnations pénales et casiers judiciaires ont également été mis en place.

 

 

En définitive, si l’adoption de l’accord du 24 décembre permet de donner plus de visibilité sur la mise en forme du futur des relations entre le Royaume-Uni et les pays membres de l’Union européenne, il ne constitue finalement qu’un premier pas dans la construction de cet ordonnancement.

 

Article rédigé par Pierre Berthault, élève avocat en stage PPI chez Juri’Predis.

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Brexit et RGPD : ébauche d’une collaboration