L’avenir de la profession préservé ? Les pistes du Rapport Perben

Publié le 3 septembre 2020

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« La profession d’avocat traverse une crise profonde ». Ce sont les premiers mots de la lettre de mission confiée par Madame Nicole Belloubet alors ministre de la justice le 9 mars 2020 à Monsieur Dominique Perben ancien garde des sceaux.

Rendu à Monsieur Dupont-Moretti, nouveau garde des sceaux le 26 aout 2020 dernier, cette mission avait été confiée dans le but de répondre aux grèves sans précédent des avocats contre la réforme des retraites.

L’objectif était alors de faire émerger des solutions qui permettraient aux avocats de « garantir leur indépendance, leur liberté d’exercice, leur autonomie de fonctionnement, la viabilité de toutes les structures et cadres d’exercice, individuel ou en association, pour tous les types de conseil et le contentieux ».

En clair, une réforme profonde de la profession pour la sauver. Mais la sauver de quoi ? De qui ? C’est sur cela qu’il est nécessaire de s’interroger.  

 

Les interrogations face à une profession en pleine mutation 

 

En 2017, Monsieur Jean-Jacques Urvoas, alors garde des sceaux avait déjà confié une mission à Maître Kami Haeri, avocat au barreau de Paris sur l’avenir de la profession d’avocat.

Le rapport de Maître Haeri permet de comprendre les enjeux et mutations de la profession. Si un deuxième rapport intervient si peu de temps après c’est parce qu’il apparait que la profession d’avocat a été confrontée à une série de changements profonds et simultanés, de révolutions techniques mais aussi technologiques, de crises politiques majeures rendant plus difficile l’exercice traditionnel du métier.

 

Une profession attractive mais victime de disparités 

 

Cette profession bénéficie cependant d’une forte attractivité. Pour autant, c’est une profession hétérogène, il existe des différences selon le mode d’exercice (collaboration, salariée, titre individuel etc), mais aussi le lieu d’exercice (province ou Paris). C’est ce que souhaite corriger le rapport.

Toutefois, à l’heure des grands changements, tout est possible, de nouveaux marchés se sont ouverts aux avocats, une nouvelle manière d’exercer peut leur permettre de gagner en efficacité et d’éliminer la concurrence accrue car comme le fait apparaitre le rapport Haeri, le marché du droit ne s’est pas rétréci à la mesure de l’augmentation du nombre d’avocats. Il s’agit donc d’une profession productive bien que le rapport mette en évidence une incapacité de la profession à s’imposer sur les nouveaux champs d’activité à la disposition des avocats.

Le rapport Perben formule plusieurs propositions pour pallier non seulement les disparités existantes entre les avocats mais également pour les pousser à s’ouvrir à d’autres marchés.

Certaines de ces propositions avaient déjà été votées en Assemblée générale du CNB dans plusieurs rapports et résolutions et semblent être des points clés dans le dénouement des difficultés.

Pour que la profession soit pérenne, le rapport prévoit plusieurs axes à réformer.

La profession d’avocat telle qu’elle était vu il y a des années était une profession principalement judiciaire, s’exerçant dans les prétoires. L’accès à internet étant faible voire inexistant, l’avocat était donc la personne privilégiée, capable de donner les règles de droit et de résoudre un litige.

Une multitude de bouleversements a transformé la profession. L’accès à internet est répandu, les justiciables peuvent sans difficulté accéder à une montagne d’informations sans même avoir besoin de consulter quelqu’un. C’est donc l’offre et la demande qui ont muté.

Les juridictions sont engorgées et les avocats ont compris depuis plusieurs années que la profession ne s’exerçait pas que de façon traditionnelle.

On peut déjà observer les progressions faites par les avocats, dans leur manière de travailler et d’évoluer. Mais le rapport Perben semble tout de même pointer du doigt des difficultés et une fragilité de certains cabinets.  

Pour rétablir cela, il prévoit plusieurs axes de réflexion à envisager :

Améliorer la situation économique des avocats 

 

Aide juridictionnelle

La toute première proposition concerne l’aide juridictionnelle.

La France se situe en tête du nombre d’affaires prises en charge dans le cadre de l’aide juridictionnelle en Europe avec 824 934 affaires.

Le rapport propose de revaloriser l’aide juridictionnelle en faisant passer l’unité de valeur de 32 à 40€. Pour financer cette augmentation, un timbre de 50€ pour toute procédure judiciaire serait réintroduit ainsi qu’une aide budgétaire de l’État.

Recouvrement des honoraires des avocats

Il s’agit de permettre au bâtonnier d’assortir ses décisions de l’exécution provisoire pour raccourcir les délais actuels d’exécution des décisions.

Des statistiques présentes dans le rapport permettent le constat suivant : les délais dans leur phase judiciaire concernant les honoraires sont assez longs (environs 28,4 mois).

L’exécution provisoire des décisions des bâtonniers apparait donc nécessaire s’agissant des ordonnances de taxation pour gagner en efficacité et en rapidité.

Améliorer le dispositif de l’article 700 CPC

L’amélioration du dispositif de l’article 700 CPC permettrait d’indiquer que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’elle a exposée au titre de sa défense sur présentation d’éléments concrets sur lesquels se baser comme des factures. Aujourd’hui le juge ne dispose d’aucun élément justifiant par exemple les dépenses et honoraires des avocats dans une procédure.  

Mieux protéger les collaborateurs contre la perte de collaboration

Les collaborateurs libéraux ont le statut de travailleur indépendant. Ils ne bénéficient donc pas d’allocations chômage en cas de rupture du contrat de collaboration à l’initiative du cabinet mais peuvent tout de même souscrire une assurance personnelle pour se prémunir de ce risque.

Mis en exergue dans plusieurs rapports notamment celui de 2017, le statut de collaborateur est particulier en ce que si la clientèle personnelle du collaborateur n’est pas assez développée, il peut être très rapidement sans revenus après une rupture de son contrat.

Le rapport recommande alors de rendre obligatoire la souscription par les barreaux d’une assurance perte de collaboration dont le coût serait intégré à la cotisation ordinale fixée par les ordres.

Cela permettrait de mettre les collaborateurs sur un même pied d’égalité concernant leur éventuelle perte d’emploi.

Favoriser l’égalité hommes/femmes

Soucieux de l’égalité, c’est aussi du côté d’une parité homme/femme que le rapport intervient. Une disparité des revenus est constatée dans le rapport entre les hommes et les femmes. 77,1% des avocats se situant dans la tranche de revenus annuels la plus élevée de l’enquête réalisée par le défenseur des droits sont des hommes.

Le rapport prévoit de mettre en place dans les barreaux des outils d’observation des pratiques des cabinets pour permettre la tenue de statistiques sur les rapports homme/femme et d’inciter les barreaux à prendre localement des initiatives pour favoriser l’égalité.

 

Faire évoluer l’offre des avocats

 

Force exécutoire aux actes contresignés par avocats dans le cadre des MARD

Comme l’explique le rapport Perben en son introduction, les avocats sont amenés à ouvrir leur champ d’activité et de plus en plus à régler les litiges hors des prétoires. Le développement des MARD est donc primordial et l’acte d’avocat en est un corollaire.

Puisqu’à ce jour l’accord conclu entre les parties ne constitue pas un titre exécutoire, il faut effectuer des démarches supplémentaires pour mettre en œuvre des mesures d’exécution forcée. Le rapport préconise de conférer force exécutoire aux actes contresignés par avocats dans le cadre des modes amiables de règlement des différends.

Toutefois cette mesure est largement contestée par les notaires qui précisent que l’avocat est indépendant de tout pouvoir public et ne peut donc pas être dépositaire de l’autorité de l’État et rendre des actes exécutoires.

Définition de la consultation juridique

Le rapport se penche ensuite sur les consultations juridiques et leur définition. Cette question est très liée au développement des nouvelles technologies. Le Rapport précise « il parait vraisemblable que des ordinateurs seront en mesure, dans un futur proche, de traiter le langage naturel. Ils pourraient donc devenir capables de fournir, en langage naturel, des réponses structurées équivalentes à l’application d’une règle de droit abstraite à une situation individuelle ». Ainsi, tant que la consultation juridique ne pouvait être donnée que par des humains, la définition semblait être peu importante. Toutefois, à partir de l’instant où une machine pourra s’en emparer, il parait nécessaire de délimiter son périmètre pour protéger les consommateurs.

Réforme de la formation initiale de la profession d’avocat

La réforme consisterait à créer une correction croisée des copies du CRFPA ainsi qu’à développer les enseignements cliniques au sein des CRFPA. Enfin, d’accentuer le caractère entrepreneurial de la formation.

Structures professionnelle et autorisation d’un accès limité aux capitaux extérieurs

Les structures individuelles apparaissent suite à des auditions, plus fragiles que des structures comportant des associés. Pour exemple, les structures individuelles ont en grande majorité (92%) indiqué ne pas avoir réussi à conserver leur rémunération habituelle pendant la période du confinement contre 78% des associés.

Cette difficulté permet de prendre une mesure visant à améliorer le financement de tous les types de structures.

En effet, il est préconisé de réformer les structures professionnelles en permettant l’introduction de capitaux extérieurs de manière limitée. Cela encouragerait le regroupement des avocats.

 

Améliorer les relations avocats/magistrats

 

Protéger le secret professionnel

Il est préconisé de renforcer les moyens mis à la disposition du juge des libertés et de la détention (JLD). Une motivation sera alors nécessaire lors d’une enquête préliminaire pour effectuer perquisition, interception téléphonique etc à l’encontre d’un avocat. Il faudra des indices précis préexistants de la participation de l’avocat à la commission de l’infraction.

Faciliter l’échange : temps d’échange réguliers

Il est évident que l’échange permet le partage d’idées, l’évolution d’un métier. Le rapport prévoit donc des temps d’échanges réguliers entre juridictions et barreaux pour permettre la transparence et la facilité dans l’élaboration des projets mais aussi une compréhension mutuelle des besoins et ressources de chacun.

Créer un concours unique professionnel et supprimer le stage probatoire pour les avocats candidats à la magistrature

Les passerelles de l’avocature à la magistrature existent déjà mais le rapport Perben prévoit de créer un concours unique professionnel et de supprimer le stage probatoire pour les avocats pour simplifier l’accès à la magistrature.

Une mesure plus globale sur la pratique de la profession d’avocat est évoquée, il s’agit de la réforme de la procédure d’appel :

Procédure d’appel

Le rapport prévoit d’allonger les délais sanctionnés à peine de caducité et d’irrecevabilité en appel dans l’attente d’une réforme de plus grande ampleur. Cette mesure permettrait d’éviter que la « responsabilité des avocats qui n’auraient pas accompli les actes de procédure dans les délais ne soit engagée alors que les cours d’appel ne parviennent pas à juger les affaires lorsqu’elles sont prêtes à être jugées ».

La réforme de la Cour d’appel est discutée depuis longtemps mais le rapport n’en n’évoque pas d’autres points.

 

 

Pour conclure, il est important de rappeler que ce rapport ne fait pas l’unanimité au sein de la profession. Certains trouvent qu’il s’agit d’un document mis en œuvre pour calmer les avocats suite aux grandes crises qu’ils ont traversé et largement inspiré des propositions du CNB. D’autres précisent qu’il n’y a aucune innovation dans ces mesures qui n’aideront pas fondamentalement la profession à avancer. La Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats explique par exemple qu’ils regrettent un manque d’ambition au sein du rapport. Enfin, c’est un véritable « plan de relance pour la justice » que souhaitent les avocats et la Présidente du CNB Christiane Féral-Schuhl.

 

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Article rédigé par Laurène Astruc-Cohen, Élève-Avocat et Juriste chez Juri’Predis